L’article présente la réflexion de Michel Henry dans Paroles du Christ, où il explore le sens des paroles de Jésus comme Parole de Dieu et interroge la possibilité d’une christologie philosophique. À travers une lecture phénoménologique, il distingue la parole du monde et la Parole de la Vie, montrant que le Christ est lui-même le Verbe incarné.
Mots-clés : Dieu, Michel Henry
Trois aspects
ont retenu l’attention des séminaristes dans leur travail d’appropriation de la
pensée de Michel Henry. Ils se sont interrogés sur le lien entre le titre de
l’ouvrage et la pensée de l’auteur, et sur la possibilité d’une Christologie
philosophique. Enfin ils ont réalisé un résumé de chacun des chapitres de
l’ouvrage pour comprendre le cheminement de l’auteur.
Dans le titre
du livre de Michel Henry Paroles du Christ, nous remarquons d'emblée la majuscule
et le pluriel du mot « Paroles » ainsi que le titre « Christ » utilisé pour
désigner Jésus. Ces remarques vont conduire le lecteur vers la thèse principale
de l'auteur qui, reposant sur l'étude des paroles de Jésus, expose la
possibilité pour l'homme d'entendre dans le langage qui est le sien une parole
qui serait celle du Verbe de Dieu et donc de Dieu lui-même.
Comment
l'homme peut-il comprendre que cette parole vient de Dieu ? En effet, le titre « Christ
» renvoie à une confession de foi de l'auteur (dans les Évangiles, Jésus se
révèle comme le Messie ou Christ, i.e. l'oint de Dieu et le Fils de Dieu). Le
pluriel du mot « Paroles » renvoie certes aux nombreuses phrases prononcées
autrefois par Jésus et rapportées dans les évangiles mais aussi à la question
de l'auteur : le langage du Christ est-il double ? La majuscule, quant à elle,
renvoie à la Parole de Dieu, Parole de Vérité et de Vie. Avec le commentaire de
nombreux verba évangéliques, Michel Henry ouvre à une nouvelle intelligibilité
du langage comme parole de révélation. Nous verrons donc ce que nous apprennent
les paroles du Christ sur nous et sur Lui puis la façon dont le Christ nous
parle, ce qui nous révèle le lien entre les paroles du Christ et la Parole de
Dieu que le Christ dit être lui-même.
Le point de départ de la réflexion de Michel Henry est l'unité des deux natures du Christ : humaine et divine. Après avoir noté que la vie est dans la finitude et que le Christ a vécu cette vie humaine, Michel Henry se pose la question du langage : est-il double lui aussi ? L'auteur suppose donc que la Parole du Christ est double aussi : tantôt le Christ parlerait en tant qu'homme, tantôt en tant que Dieu. L'auteur va donc analyser ces deux formes de paroles. Les paroles du Christ, transmises par les évangiles, vont servir de guide pour la réflexion de l'auteur. Il s'intéresse aux paroles du Christ qui bouleversent les relations des hommes entre eux (vie familiale (Lc 8,19 et 12,51) et vie sociale (Mc 2,27 et 7,14, Mt 6,1 et 20,1, Lc 6,32 ; 8,18 ; 18,14 et 22,24) et donnent une nouvelle définition de la condition humaine. Celle-ci est maintenant définie par sa relation intérieure à Dieu (Dieu voit dans le secret de nos cœurs Mt 6,3-4.6). Le Christ dénonce l'hypocrisie des paroles humaines (appelées Parole du monde). L'auteur accorde une place importante aux paraboles et au ''Discours sur la montagne'' dont il fait découvrir une profondeur inhabituelle. En effet, le texte est souvent lu dans sa dimension morale. Les paraboles permettent de montrer le réalisme du propos qui vise à détruire le mensonge, l'égoïsme ou la haine d'autrui pour accéder à ce qui fait la grandeur de l'être humain : la vérité, l'amour, la générosité, la naissance à la vie. Cette naissance à la vie ne se fait pas sans la Vie de Dieu. Il y a une Révélation dans ces paroles souvent choquantes de Jésus.
Michel Henry
poursuit en relevant la prétention de Jésus disant ''je''. Il en conclut que
''la Parole du Christ adressée aux hommes sur leur propre condition d'homme
rejaillit ainsi sur lui-même'' (p. 62) et ainsi se fait le lien entre les logia rapportés par les synoptiques et la
théologie de Jean. Avant d'étudier le Prologue de Jean, Michel Henry parcourt
les étapes de la vie de Jésus ; il évoque les rencontres (avec la Samaritaine,
par exemple), mais surtout les discussions avec les autorités de Jérusalem qui
obligent à souligner la réalité de l'enjeu des paroles de Jésus. Jésus affirme
sa condition divine : lui et Dieu son Père sont un (Lc
10,22 et Mt 10,40) Michel Henry procède à une analyse critique du langage
humain, prenant acte des travaux de la ''philosophie du langage'' et de leurs
limites qui consistent à tenir un discours mondain, c'est-à- dire prisonnier de
l'objectivité, de l’extériorité, voire de l'indifférence (p. 88-92). Il lui
oppose une philosophie de la vie (p. 93) et s'attache au lien entre la parole
et la vie (p. 94).
Tel est
l'enjeu du livre dont le souci est de montrer d'abord que les paroles du Christ
considéré en tant qu'homme, s'adressant aux hommes dans leur langage ou de
lui-même invitent à se poser la question : en quoi la parole du Christ
considérée comme celle du Verbe, comme la Parole de Dieu, diffère de la parole
humaine en général ? Comment parle-t-elle et que dit-elle ? Quels sont ses
caractères essentiels ? Ce qui invite à se demander, comment les hommes sont
capables d'entendre et de comprendre cette Parole qui n'est plus la leur, mais
celle de Dieu. Michel Henry place ainsi son lecteur au cœur des questions qui
relèvent de la théologie fondamentale et de la philosophie. En Jésus, comment
se distinguent et s'articulent la manière dont parle l'homme, vivant né dans la
Vie et celle dont parle Dieu, qui est la Vie même ? Le propre de la vie humaine
est de s'éprouver soi-même. L’homme s'éprouve lui-même. L'invisible est sa
réalité véritable. La vie finie humaine est générée dans la Vie infinie de
Dieu. La relation à Dieu s'accomplit dans le Christ. La nouvelle définition de
la condition humaine permet de se mettre à l'écoute de la Parole de Dieu et
donc de la comprendre. Le Verbe de Dieu ne parle pas que dans le langage humain
: il parle aussi dans la vie des hommes. Si le Christ transmet la Parole de
Dieu, il est avant tout lui-même cette Parole de Dieu. Michel Henry défend la
Vie dans toute sa plénitude jusqu’à la Vérité de la Vie absolue portée par les
Paroles du Christ. L'auteur donne sens à la notion d'enfant de Dieu. La
vocation de tous les hommes est de participer activement à la vie de Dieu qui
est Père. Alors sera accomplie la condition de Fils, telle qu'elle sera aperçue
treize siècles plus tard dans la vision fulgurante de Maître Eckhart : « Dieu
s'engendre comme moi-même', 'Dieu m'engendre comme lui-même' (sermon n° 6) » (p.
140).
Jésus Christ
est la Parole qui parle au cœur, la Parole de Vie. Dieu se révèle en son Verbe.
La Vie de Dieu génère en elle son Verbe en lequel elle s'éprouve et dit ce
qu'elle est. Et notre vie ne peut vivre que dans la Vie de Dieu qui ne cesse de
lui donner la Vie. En Jésus, se manifeste l'unité du vivre et du parler. La
Parole de Dieu est performative (elle accomplit ce qu'elle dit) et a donc le
pouvoir de rétablir l'homme dans sa condition originelle de Fils de Dieu. Les
paroles du Christ autrefois adressées aux disciples avec autorité disent
l'aujourd'hui de Dieu et à l'aide de simples mots ce qu'est la Parole de Dieu,
Parole de Vérité et de Vie.
Michel Henry
est un témoin de la foi chrétienne, son livre traite d'un aspect de l'incarnation
de Dieu : celui de sa parole. La philosophie chrétienne permet de comprendre la
réalité sensible, la vie, la condition humaine. Le regard ne se limite pas aux
phénomènes observés par la science ou par une culture humaniste mais se lève
vers Dieu, à partir de qui toute chose s'éclaire. Ainsi Jésus Christ n'est pas
seulement un maître de sagesse ou un fondateur de religion, mais bien le Logos
incarné. Il y a identité entre la Parole du Christ et celle de Dieu : le Christ
est le Verbe de Dieu. Tous les hommes sont fils de Dieu et Jésus est le Fils
bien-aimé du Père. Dans les paroles du Christ, prononcées dans notre langage
humain, c'est la Parole de Dieu qui s'exprime. Dans les deux cas où les paroles
portent sur les hommes ou sur le Christ lui-même, il y a révélation en notre
vie finie de la Vie de Dieu. Celle-ci est Vérité car elle s'accomplit dans
notre vie et en pénètre toutes les modalités. Appartenir à la vérité, être engendré
dans le Verbe, nous permet d'écouter la Parole du Christ, la Parole de Dieu.
A partir des paroles du Christ, Michel Henry se propose de nous faire découvrir le Christ. Mais nous pouvons nous demander si une Christologie philosophique est possible et ce que nous apporte l’ouvrage de Michel Henry.
La
Christologie s'attache à l'être et à la personne du Christ et signifie un
discours, une parole portant sur le Christ et permettant de mieux le comprendre
en s'appuyant sur le donné révélé, accueilli dans la foi et élaboré par la
communauté chrétienne de génération en génération et qui donne la possibilité
d'une Christologie théologique.
Pour penser
une Christologie philosophique, nous nous situerions alors dans une démarche
rationnelle de recherche de la vérité où peut se penser une possibilité pour le
Christianisme d'être inspirateur pour la philosophie. Notre raison dans son
autonomie cherche alors à comprendre les faits et paroles du Christ pour
élaborer un système conceptuel, une Idea Christi[1],
source qui permet au philosophe d'élaborer une nouvelle Intelligibilité de la
réalité en s'appuyant sur les enseignements du Christ. « La raison ne sera pas
sauvée sans la foi, mais la foi sans la raison devient inhumaine[2].
»
Il faut nous
souvenir dans cette réflexion que les rapports entre foi et raison humaine ont été
dans le temps l'objet de débat, de recherche, de questionnements et que la
philosophie de Michel Henry est, à cet égard, novatrice. Est-il ouvert ou fermé
dans sa recherche de la vérité à la réception d'une source de vérité qui
dépasse sa raison ? Le Christianisme peut-il inspirer la philosophie ? Le
Christ de la philosophie est-il celui de la foi ? Certains courants philosophiques
pensent la raison non comme une perfection close mais comme à destination théologique.
La raison trouvera alors sa perfection à la lumière de la révélation. Ainsi
notre auteur l’exprime-t-il : « La prise en considération de certains thèmes
religieux fondamentaux nous permet de découvrir un immense domaine inconnu de
la pensée dite rationnelle[3].
»
A travers les
écrits du Christianisme, il est donné à entendre que le Logos s'est fait
chair. Or la philosophie, enracinée dans la tradition grecque avec le logos
grec, peut-elle dialoguer et réfléchir philosophiquement cette incarnation du
Verbe de Dieu ? L'histoire de la philosophie nous fait voir l'affrontement
entre ceux qui accueillent cette parole du Christ en cherchant à la comprendre
et ceux qui la rejettent en défendant l'autonomie de la raison humaine. La
Vérité est-elle une Idée ou une personne ? Il s'agirait donc de laisser le
Christianisme apparaître dans ce qu'il considère comme sa Vérité qui est la
Vie. C'est le chemin de la phénoménologie de Michel Henry.
Le prologue
de Jean est le lieu par excellence de la Christologie philosophique. Il permet de
rattacher la philosophie grecque et la révélation chrétienne, il est leur point
de contact. Mais penser à une Christologie philosophique, n'est-ce pas la
réduire à un système ? Michel Henry parle d'archi-Christologie et cherche un
autre topos qui se situe avant toute Christologie, entendue à partir du
logos grec. Il pose que notre relation au Christ ne s'accomplit ni dans la pensée
ni dans le monde. Il pose la question : Comment se fait notre accès au Christ ?
Et il répond : « Dans le Christ lui-même. »
Les
phénoménologues entendent traiter des problèmes philosophiques par la
description des grands types d'expériences humaines : Pour Michel Henry, son
axe est la phénoménologie de la vie, la vie telle que nous l'éprouvons en nous,
c'est l'apparaître d'un autre logos étranger au monde, le Logos de la vie
manifesté par son Incarnation, ce Verbe de Vie qui est de condition divine et
se fait semblable aux hommes en assumant leur condition. Dieu, dans le Christ,
s'auto-révèle de manière absolue.
Michel Henry
aborde dans Paroles du Christ un certain nombre de questions qui donnent à
notre condition humaine une parole propre où le langage paradoxal est mis en
valeur dans ces paroles de la révélation que sont les Écritures. En les
écoutant, nous comprenons notre vie, notre relation avec Dieu le Vivant, avec
les autres vivants et comment vivre en vérité de manière renouvelée.
En effet, la
révélation de la Vie absolue venant du premier Vivant est un bouleversement et
c'est ce qu'il s'agit de penser. C'est alors que la raison humaine est
convoquée à un retournement, à une subversion. « Avant la pensée, avant la
phénoménologie, donc comme avant la théologie, une Révélation est à l'œuvre qui
ne leur doit rien mais qu'elles supposent toutes également[4].
»
Michel Henry
veut donc réfléchir sur ce Christ qui est l'autorévélation de la Vie et qui interroge
le destin de l'homme comme vivant qui vient de la Vie infinie de Dieu. La
relation entre le Père et le Fils est décrite comme une vie incréée que le Père
donne incessamment au Fils et que le Fils reçoit du Père. La vie précède la
pensée. En effet, la raison est détrônée par la Vie, cette vie qui jaillit du
Christ. Il s'agit de penser autrement, de recevoir un nouveau principe
d'intelligibilité. Les paroles du Christ sont révélatrices d'un autre sens de
la vie qui n'est pas celui de l'apparence, du monde visible mais celle de
l'invisible, ce sont des paroles de vie qui sont vraies et s'opposent aux
paroles du monde susceptibles de mensonge et d'hypocrisie. Le mystère du Logos
incarné jette une lumière indicible sur notre être au monde de la vie, il nous
parle de nous en nous parlant de Lui. Celui qui est plus qu'un homme, qui
pardonne les péchés, qui affirme sa condition de Fils de Dieu, celui-là en qui
la nature divine et la nature humaine sont unies, nous révèle la plus profonde
vérité qui n'est pas comme le monde visible la pense. A travers la réception
des paroles du Christ, le philosophe découvre une autre raison que la sienne,
où la sienne de manière invisible est reliée.
Ce qui
apparaît principalement, c'est que l'homme se croyant autonome, s'expérimentant
dans un certain pouvoir est avant tout Fils de Dieu dans le Fils qui est
archi-principe dans son pouvoir de donner la vie. La nouvelle naissance de
l'homme comme Fils déplace son rapport au monde. Il est donné à lui-même, il
vient dans la vie, il se reçoit de ce principe de Vie qu'est le Verbe de Vie en
qui tout a été fait. Son corps n'est que l'apparence d'une chair vivante qui s'éprouve
souffrante et jouissante. Cette révélation se passe dans le lieu du cœur par
l'écoute de cette Parole de la Vie, proférée par le Verbe. Son action éthique
découle tout entière de cette écoute devenant accomplissement de la volonté de
Dieu. Il reçoit de cette révélation cette vérité, qu'il n'est pas à lui-même
son propre fondement.
Finalement,
accueillant la lumière de la Vie, le Christianisme peut faire naître un système
de « décomposition de l'humain[5]
» pour une transformation intime de la vie qui devient vérité, étant greffée
sur l'origine, là où la Vie absolue s'engendre dans l'Amour.
Xavier Tilliette s. j. dans son ouvrage intitulé Le Christ des
philosophes fait le point[6]
sur la relation entre philosophie et Christ au cours de l’histoire. Il en
arrive à examiner la position de Michel Henry et sa Christologie philosophique
et voilà ce que nous pouvons en retenir :
Pour Xavier Tilliette sa Christologie philosophique est l’aboutissement
d’un long itinéraire de pensée, très cohérent, voué opiniâtrement à élucider la
subjectivité intime, la vie en tant qu’affection transcendantale et pathos de
l’existence.
Dans son
ouvrage C’est Moi la Vérité, il présente « la philosophie du
Christianisme ». Michel Henry a trouvé dans l’Évangile de Jean, le plus
spéculatif, le plus spirituel, la vérité et la garantie qu’il cherchait. La Vie
s’origine dans le Verbe de Vie, ou le Monogène, engendré avant les temps, plus
exactement dans la relation qu’est cette génération absolue, du Père au Fils et
du Fils au Père, dont le mystère natal emplit la conscience du Christ.
Authentifiée par la Parole souveraine et indiscutable de l’Évangile, et en
particulier du Prologue de Jean, la philosophie de la Vie s’identifie au
kérygme et l’essence de la Manifestation devient le contenu de la Révélation.
Cet ouvrage avait pour but de montrer que la foi est le secret dévoilé d’une philosophie
qui se cherchait depuis toujours dans l’immanence. Car cette vie jaillissante
et souffrante, qui ne cesse de palpiter chez les vivants que nous sommes, n’est
autre que la vie filiale, la vie des fils qui a son origine dans la source du
Fils Unique de Dieu. La Vérité du Christianisme, à savoir la divinité du Christ
et la filiation adoptive, y est affirmée avec une force impressionnante et
l’essence de la vie n’est pas le souffle biologique, mais bien la vie de l’Esprit,
la vie divine en tout vivant humain. Quelques critiques y ont vu un déficit
d’incarnation parce que l’Incarnation du Verbe en Jésus-Christ allait de soi,
présupposée et non thématisée.
Pour réagir à
ces critiques, Michel Henry a entrepris un nouveau livre, intitulé précisément Incarnation,
et sous-titré : « une philosophie de la chair ». En effet, « le Verbe s’est fait
chair », et le développement de la notion de chair dans la philosophie
contemporaine a été l’occasion d’approfondir sa Christologie. Ce livre est
consacré à la philosophie de la chair ou phénoménologie de l’incarnation, avec
un très petit développement sur l’Incarnation proprement dite. Dans les
préalables, il y réalise une réfection de la phénoménologie, il insiste sur la
subjectivité invisible de la vie. Il établit dans la chair sensible,
intelligible et spirituelle, le lieu d’origine et d’élection de la Vie, et par
conséquent le Premier Vivant. Il y a donc une sorte de recouvrement entre la
phénoménologie de la chair et la théologie Christologique. De celle-ci le
philosophe a tout accepté : le réalisme de l’Incarnation, la double nature, les
souffrances, la mort et la résurrection, l’Eucharistie, le Corps mystique.
Toutefois, semble-t-il, il suffisait au Fils de prendre chair. Michel Henry ne
voit pas la nécessité de l’événement ignominieux et douloureux de la Passion
pour la Rédemption, la vie des ressuscités n’est possible qu’après la mort,
étape aveugle de cette philosophie. Il faut noter que cette phénoménologie de
la chair rend service à la théologie en habilitant la Christologie johannique et
l’eschatologie paulinienne. Cette philosophie anticipe la Parousie : engendrés
dans le Christ, les hommes possèdent déjà la Vie éternelle. La phénoménologie
non seulement dispose, mais introduit au Christianisme. Dans cet ouvrage, il y
a une originalité à noter c’est l’intérêt que Michel Henry porte à l’autre
incorporation, mystique, spiritualisation de la chair, le statut des « fils
dans le Fils », par droit de naissance transcendantale dans le Premier-né de
toute création. Le Fils consubstantiel au Père co-naît une multitude de frères,
ou de fils – coengendrés. Ainsi s’achève et se parachève une grande œuvre qui
renoue – à son insu ? – avec l’ambition des plus hautes philosophies, le
dialogue et l’alliance avec le Christianisme.
Michel Henry
confirmera cette idée de l’incorporation des Fils dans le testament posthume
que constitue, « Paroles du Christ ». Ce texte s'inscrit dans la
perspective philosophique des volumes antérieurs : C'est moi la vérité, Pour
une philosophie du Christianisme et Incarnation, Une philosophie
de la chair, parus aux Éditions du Seuil. Il s'agit pour l'auteur de penser
philosophiquement la vie - celle qui s'éprouve en l'homme et que l'homme
éprouve en tant que vivant - en référence à Dieu Trinité qui est lui-même vie
absolue infinie. C'est avec cette « phénoménologie fondamentale » de la vie que
Michel Henry se propose d'ouvrir et de lire les Évangiles. En philosophe, il
retrouve la figure, les paroles et les actions du Christ. Celui-ci, à distance
du logos grec fondant toute intelligibilité dans l'horizon du monde, est Verbe
divin, à savoir autorévélation de la Vie de Dieu. De cette Vie, il témoigne devant
les hommes déconcertés et enfermés dans l'extériorité du langage du monde. La
venue du Christ dans la vie est celle du premier des vivants en laquelle Dieu
lui-même se donne comme Vie absolue. Premier des vivants dans la Vie de Dieu,
le Christ, en son incarnation, révèle à tout homme sa filiation divine
transcendant sa génération naturelle. Ainsi l'homme ne se définit pas par sa
nature inscrite dans l'extériorité visible du monde, mais par la Vie de Dieu en
laquelle il s'éprouve comme dans une naissance intemporelle. La révélation du
Christ, Verbe et Fils identifié à Dieu, ne cesse de susciter la haine venue des
hommes qui absolutisent leur « ego » en ce monde. Cependant, sa révélation est
Parole de vie, adressée au cœur de tout homme, délivrant toute vie finie de sa
propre finitude. Cette Parole de vie, transcendant la parole du monde, vient à
l'homme jusque dans la chair lui révélant au plus profond de son intériorité invisible
la vie éternelle en son absolue vérité. Ce livre est d'une grande force, il
nous donne à découvrir dans l’aboutissement (la troisième partie de la
trilogie) de sa phénoménologie du Christianisme une Christologie philosophique
séduisante même si elle risque de nous isoler de nos frères car elle nous
centre sur nous-mêmes.
En bref, la
Christologie de Michel Henry est le fruit d’une démarche de recherche longue et
permanente qui tient compte des réactions engendrées par ses ouvrages. Il nous
fait pénétrer dans la richesse de l’évangile de Jean, découvrir que cette Vie
de Dieu nous l’avons déjà en nous de par notre état de
fils de Dieu et qu’elle nous délivre de notre vie finie. Il redonne son importance
à la chair pour accéder à la connaissance de Dieu, une connaissance qui n’est
pas intellectuelle : le Christ a révélé sa parole de Vie, Vie qui s'éprouve en
l'homme et que l'homme éprouve en tant que vivant. Aurait-elle connu d’autres
évolutions si l’auteur était encore vivant ? Voilà une question.
L’ouvrage qui
a permis aux séminaristes d’approfondir la philosophie de Michel Henry s’intitule
Paroles du Christ. Après une brève introduction, il y développe sa
pensée en dix chapitres, en voici la table de matières :
Introduction
Chapitre
I : Paroles du Christ considéré comme un homme s’adressant aux hommes dans le langage
qui est le leur et leur parlant d’eux-mêmes.
Chapitre
II : Décomposition du monde humain par l’effet des paroles du Christ.
Chapitre
III : Le bouleversement de la condition humaine par la parole du Christ.
Chapitre
IV : Paroles du Christ s’adressant aux hommes dans leur langage et leur parlant
non plus d’eux mais de lui-même. L’affirmation de sa condition divine.
Chapitre
V : Paroles du Christ sur lui-même : réaffirmation de sa condition divine.
Chapitre
VI : La question de la légitimation des paroles prononcées par le Christ au
sujet de lui-même.
Chapitre
VII : Parole du monde, parole de la vie
Chapitre
VIII : Le Verbe de Dieu. Autojustification des paroles prononcées par le Christ
sur lui-même.
Chapitre
IX : Paroles du Christ sur la difficulté pour les hommes d’entendre sa Parole.
Chapitre
X : Paroles du Christ sur la possibilité pour les hommes d'entendre sa Parole
Conclusion
: Écouter la Parole. Ce que le Christ a dit à la synagogue de Capharnaüm.
Les
séminaristes les ont résumés, ces condensés devraient permettre au lecteur de
la revue de s’approprier les thèses de l’auteur sans avoir à lire l’ouvrage
tout au moins dans un premier temps. Nous avons retenu ces condensés à partir
du chapitre IV.
Chapitre IV : Paroles du
Christ s’adressant aux hommes dans leur langage et leur parlant non plus
d’eux mais de lui-même. L’affirmation de sa condition divine
Michel Henry
nous rappelle comment les relations humaines basées sur la réciprocité peuvent
apparaître suffisantes à elles-mêmes mais ne résistent pas au paradoxe de la
non-réciprocité de la relation de l’homme à Dieu, comme le suggèrent les
Béatitudes. L’auteur parle de « l’immanence de la Vie absolue en chaque vivant
», cette vie toute-puissante venant de la filiation divine de chaque être
vivant : fils de Dieu, les hommes n’ont qu’un seul Père dans « la substitution
d’une généalogie divine à la généalogie naturelle ». Le Christ est lui-même concerné
par cette filiation divine mais Michel Henry lui octroie une place
différenciée. Pour cela il reprend l’hypothèse en théologie de la nature double
du Christ, divine et humaine. Humaine ici désigne déjà la nature humaine de
généalogie divine. Divine se réfère à une relation encore plus étroite entre le
Christ et Dieu. La révélation du Christ dans « le discours inaugural », les
Béatitudes dépasse l’entendement d’un simple homme ou d’un prophète. Le Christ
est partie prenante de cette révélation du royaume : « Il constitue lui-même
l’accès au Royaume, parce qu’il est la porte ». Michel Henry note ici une «
césure définitive » au cœur des Béatitudes. L’affirmation de la filiation
divine de chaque homme ne suffit pas, il faut encore comprendre comment le
Christ le sait, comment connaît-il que Dieu nous engendre et que cette Vérité
est absolue.
La question
centrale des évangiles « Qui est le Christ ? » s’impose alors comme clé de cette
connaissance. C’est le Christ lui-même qui progressivement se révèle, par
l’autorité de son enseignement, puis par son implication directe dans le
jugement de Dieu : « …de moi…à cause de moi…plus que moi…digne de moi… »,
jusqu’au paradoxe extrême de qui perdra sa vie « pour moi » la sauvera
(page 61). Michel Henry considère que cette révélation sépare dans la
généalogie Divine, le Christ des hommes. Les paroles du Christ sont égales à
celles du Père : le Christ est le Verbe de Dieu.
Le quatrième
chapitre isole le Christ dans la filiation divine de tout homme et assume une nature
Divine propre au Christ, qui se devine dans ses paroles l’impliquant
directement dans le projet de Dieu pour les hommes. Tous les hommes ont en
communion une généalogie divine mais un homme est plus divin que les autres car
il est à la fois homme et Dieu. Ce raisonnement s’appuie sur les « logia » du Christ mais aussi sur l’assertion de départ que
le Christ a une nature double. La conclusion rejoint le postulat ; mais loin
d’être un raisonnement fermé, cette approche éclaire l’Ipséité du Christ :
Il est la Vie divine et en même temps le premier Vivant. Cette distance du
Christ avec les autres hommes montre qu’il n’y a pas une simple gradation des
généalogies humaine, divine et encore plus divine. Le Christ révèle l’Ipséité
propre de l’homme qui naît dans et grâce à la Vie divine. Différent de la
phénoménologie Husserlienne, le point de départ de la révélation divine n’est
pas au niveau de la conscience de l’homme ; tout naît du Christ et de son unité
avec Dieu proclamée par le Christ lui-même.
Ainsi Michel
Henry montre à travers les paroles du Christ adressées aux hommes dans leur
langage mais parlant du Christ lui-même, comment cette révélation de la vraie
et unique Vie de l’homme est un don absolu du Christ ; le reconnaître est le
fondement de toute conversion chrétienne.
Chapitre V : Paroles du
Christ sur lui-même : réaffirmation de sa condition divine.
Dans le
chapitre précédent le Christ révèle aux hommes que leur généalogie divine est leur
vraie nature. C’est donc à l’intérieur de la généalogie divine elle-même que la
différence entre le Christ et l’homme doit être saisie. En effet il y a une
ligne de démarcation qui l’isole : « Il est le Fils » qui au même titre
que le Père est détenteur de la vraie vie. Dans ce chapitre V, Michel Henry
analyse les paroles du Christ sur lui-même réaffirmant sa condition divine. Il rapporte
les paroles du Christ, qui révèle sa condition divine d’une manière progressive
: A la Samaritaine il propose la vie infinie de Dieu. Dans les
Béatitudes, il dévoile aux hommes les moyens d’accéder à cette vie
infinie de Dieu qu’on appelle le Royaume. Il est « la Relation » entre
Dieu et les hommes. Dans Matthieu et Luc il s’identifie au Père à titre de «
Fils unique », identité consistant dans la connaissance réciproque et
exclusive l’un de l’autre. Le Christ se place ensuite lui-même à
l’intérieur des relations humaines les rendant ainsi possibles. Pour l’homme
le choix de « la Vie » doit être radical. C’est « La Vie » qui fait de l’homme
un Vivant et « cette Vie » c’est le Verbe caché dans la vie de chacun. C’est
cette « Vie » qui anime de l’intérieur la réalité humaine l’unissant par là à
la divinité et faisant des hommes des « fils ».
Nous
approchons ici ce que formule le Concile de Chalcédoine sur les deux natures du
Christ. Loin d’enlever quoi que ce soit d’humain à Jésus, la personne divine du
Fils valorise la nature humaine qu’elle assume. Le Christ a été l’homme le plus
profondément, le plus complètement homme ; sa personne divine épanouissant
tout l’humain en Lui. Le Christ est parfait en sa divinité et parfait en son
humanité.
Dans l’Évangile,
le Christ révèle d’une manière à peine voilée sa condition divine. Il se déclare
au-dessus de la Loi. Il se dit également plus grand que le Temple, plus que
Jonas et plus que Salomon. Il demande à ses disciples de ne rien dire, à
personne quand Pierre déclare qu’il est le Messie, le Fils du Dieu Vivant.
Ultime déclaration lors de son procès : « C’est toi qui le dis »
à la question posée : « Es-tu le Messie, le Fils de Dieu ».
L’identification de Jésus à Dieu lui-même c’est cela qui provoque la colère de
ses accusateurs et fait l’enjeu du procès et c’est bien sur elle, que le Christ
est sommé de s’expliquer.
Pour conclure
ce chapitre, Michel Henry affirme que l’homme ne peut être véritablement lui-même
que par son rapport au Christ lui révélant la vérité ultime de ce qu’il est : «
fils de Dieu » Cependant l’homme est dans le monde et peut oublier sa condition
de fils livré à la superficialité d’une nature essentiellement matérielle. Il
s’en suit alors une sorte de jungle où tous sont contre tous. Seule la parole
du Christ peut éviter l’engrenage de la haine.
Chapitre VI : La question de
la légitimation des paroles prononcées par le Christ au sujet de
lui-même
Dans la suite
du chapitre V du Livre « Paroles du Christ » qui concerne les « Paroles du
Christ sur lui-même : réaffirmation de sa condition divine », nous
abordons le chapitre VI qui pose « la question de la légitimation des paroles
prononcées par le Christ au sujet de lui- même ».
Les paroles
du Christ, prononcées lors de ses enseignements, ou liées à ses actes ou signes
de sa condition divine, implicites ou plus explicites, qui seraient de «
quelqu’un qui est plus qu’un homme, quelqu’un qui n’est plus seulement un homme
», sont-elles simple affirmation ou vont-elles poser à son auditoire, ou
à une fraction de son auditoire, la question de leur légitimation ? C’est
l’approche d’une réponse à cette question qui occupe le chapitre VI du Livre de
l’auteur de « Paroles du Christ ». Michel Henry propose d’abord une réflexion
sur les affrontements générés par les paroles du Christ. Il considère un double
affrontement : d’une part, l’impact de ses paroles sur les « gardiens » de
la loi religieuse avec leurs objections : « De quel droit dis-tu cela ? », et
d’autre part, l’affrontement de ces mêmes personnalités avec ceux de son
auditoire, dont ses disciples, qui sont au contraire fascinés par
ses paroles et par ses actes. Il appuie sa réflexion sur quelques textes
évangéliques des Synoptiques et de l’Évangile de Jean qui font l’objet de deux
paragraphes distincts portant sur les controverses et la légitimation de ce que
Jésus dit au sujet de lui-même.
Controverses et autorité de Jésus
La guérison
de l’aveugle de naissance en Jean 9, 8-34 provoque la division et des interrogations
: D’où vient-il celui qui a guéri l’homme qui était aveugle ? Ceux qui croient,
à la suite de l’homme qui est guéri, que c’est Jésus qui a opéré la guérison,
disent : Si cet homme ne venait pas de Dieu il ne pourrait rien faire… !
D’autres, des pharisiens, sont persuadés du contraire : Cet homme Jésus ne
vient pas de Dieu puisqu’il n’observe pas le Shabbat. Nous ne savons pas d’où
il vient… La question est celle-ci : Qui est-il celui-là qui se place au-dessus
de la Loi ?
Dans Mt 21,
23-27 et ses parallèles en Marc et Luc, se pose la question de la légitimité de
l’autorité de Jésus : Par quelle autorité fais-tu cela et qui t’a donné cette
autorité ?
Dans le texte
de la femme adultère (Jn 8, 3-11), les pharisiens et
les scribes qui tentent de prendre Jésus au piège de la Loi, sont contraints de
capituler. Il se passe un « renversement d’autorité ».
Reprenant le
chapitre 21 de Matthieu et ses parallèles, Michel Henry rapporte la parabole des
vignerons homicides et montre par-là que Jésus affirme de plus en plus sa
situation de Fils. « La pierre que les maçons ont rejetée est
devenue la pierre angulaire » (Ps 118, 22-23).
Au chapitre 22 de Matthieu (v. 41-46), c’est Jésus lui-même qui pose la question de son identité à ses interlocuteurs récalcitrants : Que pensez-vous au sujet du Messie ? L’allusion au Ps 110 montre de nouveau que la condition de Jésus en tant que Christ et Seigneur renvoie à la question de sa légitimité.
Témoignages
Avec l’Évangile
de Jean, Michel Henry nous fait entrer dans une réflexion plus élaborée. Dans
les Synoptiques, Jésus réfutait les arguments de ses adversaires et montrait
son autorité, une autorité qui venait de plus loin que lui. Jean va au-delà et
en profondeur dans l’affirmation des paroles de Jésus en tant que Messie et
Fils. Avec Jean, nous entrons dans un langage théologique et religieux en
rapport avec le témoignage.
Dans les
controverses qui suivent il y a une gradation du témoignage : Tu te rends témoignage
à toi-même, ce n’est pas un vrai témoignage, disent les adversaires de Jésus (Jn 8, 13). Dans un premier temps, Jésus acquiesce : mon
témoignage est sans valeur. Mais ce n’est que pour mieux rebondir : Dans sa
double condition d’homme et de Verbe de Dieu (Jn 1,
1s), le témoignage du Christ ne peut être limité par un témoignage humain.
Le problème
est qu’il y une ambiguïté du langage entre Jésus et ses interlocuteurs : Vous croyez
savoir qui je suis ? demande Jésus…. mais, vous ne savez pas d’où je viens…
vous ne connaissez pas mon Père…. Quelqu’un d’autre me rend témoignage…
Le Christ
peut recevoir beaucoup de témoignages, celui des Écritures avec Moïse, celui de
Jean le Baptiste, mais la parole des hommes est précaire : Je n’ai
pas à recevoir le témoignage d’un homme. (Jn
5 et 8). Le Père qui m’a envoyé témoigne pour moi… (Jn
5).
Pour Michel
Henry, « c’est bien la question du Père qui est posée » (p. 85).
En conclusion
de ce chapitre VI, l’auteur souligne que l’on pourrait encore approfondir la
recherche de l’affirmation radicale par le Christ de sa condition divine, mais
il est une autre voie dont il a été question précédemment. La théologie rejoint
la philosophie, à savoir le recours à la « phénoménologie de la vie » (p. 31).
Il y a le langage du monde et le langage de la Vie. Nous avons vu combien il y
a une ambiguïté de langage entre les paroles du Christ et celles de ses
interlocuteurs. C’est un langage de sourds. Pourtant Jésus, en tant qu’homme,
parle le langage des hommes, mais ses interlocuteurs sont hermétiques à son
témoignage : « Si vous ne croyez pas lorsque je vous parle des choses de la
terre comment croiriez-vous si je vous disais les choses du ciel ? » (Jn 3, 12). C’est bien ce qui se passe lorsque Jésus parle «
des choses du ciel » c’est-à-dire lorsqu’il fait référence à la condition
divine à laquelle il appartient, condition qui n’est plus du domaine de «
l’apparaître », mais qui est la manifestation du Verbe de vie, de la Parole au-delà
de toutes paroles. Si la nature du Christ est double (Introduction du livre et p.
85), double aussi est sa Parole, parole humaine, et parole divine en tant que «
Verbe de Dieu » (Incarnation, de M. Henry p. 28).
Chapitre VII : Parole du
monde, parole de la vie
Le Christ est à la fois homme et Dieu, a-t-il une parole humaine et une parole divine ? L’auteur commence par caractériser la parole des hommes à partir des Écritures. Elle y est présente sous deux formes : celle des évangélistes qui relatent des faits historiques concernant la vie du Christ et celle du Christ qui interrompt le récit. Elle utilise le langage du monde qui désigne les choses du monde et tout ce qui se montre à nous. Elle en parle dans cette extériorité qu’est le monde.
Michel Henry
nous expose ce qui rend possible cette parole et la caractérise. Elle est possible
dans l’apparaître du monde qui est un milieu d’extériorité, autre et diffèrent
de nous, qui est indifférent au monde et incapable de poser son existence. Elle
tient ses caractères de l’apparaître du monde. L’application des théories du
langage à ce langage des hommes met en évidence son caractère référentiel, donc
non productif de réalité. Ainsi il présente un caractère d’indigence et, pour
toutes ces raisons, l’auteur nous propose de l’appeler langage du monde.
Or, selon ces
mêmes théories, le langage du monde est le seul à exister alors que Jésus a enseigné
que nous ne sommes pas des êtres de ce monde et nous a donné une généalogie divine
: l’homme est un vivant engendré dans la vie qui est unique et vient de Dieu,
il est Fils de Dieu. Ce monde où nous apparaissons n’exhibe pas notre réalité
véritable qui réside dans le secret où Dieu nous voit.
Dans cette
relation à Dieu, l’auteur examine la présence d’une autre parole. Il commence par
nous expliciter sa notion de la vie. La vie n’est pas une chose, un être ou un
genre d’êtres ou un ensemble de phénomènes insensibles ou biologiques, réduits
à des processus matériels. Elle est quelque chose qui s’éprouve en nous, c’est
une auto-révélation où révélateur et révélé ne font qu’un. C’est un trait
décisif et incontestable de la condition humaine.
Il démontre
que s’il y a une relation entre parole et apparaître, cette parole ne peut
parler que de ce qui se manifeste à elle. Or, la vie étant une révélation, elle
a une parole propre : se révélant à soi-même, la vie parle d’elle-même. Les Grecs
appelaient logos la possibilité de parole. Le Christianisme fait paraître un
autre logos : un logos « revelatio », auto-révélation
de la vie. Cette parole dont la possibilité est la Vie elle-même, dans laquelle
la vie parle d’elle-même en se révélant à elle-même et où notre propre vie se
dit constamment à nous (voir prologue de Jean)
Pour l’auteur
la relation entre parole et vie est de l’ordre de l’expérience irrécusable :
dans la souffrance par exemple, seule la souffrance nous permet de connaître ce
qu’est la souffrance. Ainsi cette parole de vie et ce qu’elle nous dit ne font
qu’un. Il en est ainsi pour toutes les modalités de la vie : joie, tristesse,
angoisse, désespoir.
Il nous
expose les différences de cette parole avec la parole du monde. La parole de
vie est incapable de mentir alors que la parole du monde peut feindre, affirmer
ce qui n’est pas, elle contient ses conditions de possibilité. Pour bien faire
comprendre ces différences il s’appuie à nouveau sur l’expérience de la
souffrance. Ainsi la vie nous parle dans toutes les tonalités que nous
éprouvons qui ne sont que les diverses manières selon lesquelles la Vie se
révèle et nous parle.
De plus,
cette parole présente un caractère particulier qui est la relation entre vérité
et vie. La vérité de chacune de ces tonalités, en lesquelles notre existence ne
cesse de changer et de nous parler, est la Vérité de la Vie. En Christianisme,
la relation entre la vérité et la vie est essentielle et originale, elle est le
substrat sur lequel se fonde l’évangile de Jean. La vie est vérité parce
qu’elle se révèle à elle-même et que cette autorévélation constitue le
fondement de toute vérité concevable. Ainsi toutes les propriétés attribuées à
la vérité ne sont que des expressions de cette autorévélation qui ne
s’accomplit que dans la Vie et qui est sa Parole, cette Parole de Vérité qui ne
ment jamais.
L’auteur
s’interroge sur ce processus d’autorévélation en laquelle la Vie parle d’elle-même.
Après avoir rappelé ce qui caractérise la parole du monde et la parole de vie,
il reprend une nouvelle fois l’exemple de la souffrance pour expliciter ce
processus. La souffrance nous parle en elle-même sans sortir de soi. Cette
façon de demeurer en soi-même sans sortir de soi, la philosophie la nomme
immanence. L’affectivité en laquelle la vie s’éprouve soi-même et jamais dans
le monde, est une réalité « impressionnelle » et
affective. C’est uniquement parce qu’elle s’éprouve elle-même et se révèle à
soi de manière pathétique, dans l’immanence de cette affectivité, que la Vie
est une Parole et une Parole qui parle d’elle-même.
L’auteur
conclut en notant que si cette parole de vie est celle de Dieu, c’est cette
parole du Christ en tant que Verbe de Dieu qui va légitimer les paroles
déconcertantes qu’Il a prononcées sur Lui-même et dans lesquelles Il affirme
être Lui-même cette parole de Dieu.
Chapitre
VIII : Le Verbe de Dieu. Autojustification des paroles prononcées par le Christ
sur lui-même
Michel Henry
amène le lecteur à une triple question : Comment la Parole de Dieu diffère-t-elle
de la parole humaine ? Comment s’exprime-t-elle ? Que dit-elle ? Ces questions
sont structurantes pour le propos de Michel Henry.
Comment la
Parole de Dieu diffère-t-elle de la parole humaine ? Pour y répondre, il reprend
son analyse de la parole du monde. Dans la conception du langage ordinaire, il
note que le langage est marqué par son caractère référentiel où le Dire et son
Dit sont dissociés. Or, la tradition judéo-chrétienne propose une autre voie,
celle de la Parole de Dieu. Dès lors, une autre Parole est possible. C’est la
parole propre à la Vie qui unifie le Dire et le Dit.
Comment
s’exprime-t-elle ? Pour apporter des éléments de réponse, il questionne l’histoire.
La Parole de Dieu est créatrice dans la Genèse et donnée à l’homme tout au long
de l’Ancien Testament. C’est ainsi qu’elle a parlé par les prophètes avant que
le Christ ne s’affirme comme étant lui-même cette Parole, le Verbe de Dieu. Dès
lors, Michel Henry accorde une place particulière au prologue de Jean qui se
trouve en quelque sorte « à la frontière des deux testaments, éclairant l’un et
l’autre » (p. 103).
Que dit-elle
? La clé que nous propose Michel Henry pour le comprendre, est l’analyse du
prologue de Jean. L’élément central du début de l’écrit johannique est
l’affirmation de Dieu comme vie absolue qui s’auto-engendre et s’auto-révèle.
Alors que la Parole de Dieu était jusqu’à présent dans un mouvement qui
s’extériorise, elle est ici intériorisée dans un mouvement trinitaire immanent
où le Père est dans le Fils et où le Fils demeure dans le Père. Cette
intériorité réciproque « est une intériorité d’amour, qui est leur Amour
commun, leur Esprit » (p. 108).
Cet éclairage
du Prologue nous permet de comprendre rétrospectivement la création de l’homme
dans la Genèse. Au lieu de la voir comme la création d’un simple être du monde
tel que le définit la science, la création de l’homme se comprend comme
l’engendrement d’une vie finie dans l’auto-génération
de la Vie infinie : Dieu fit l’homme à son image (Gn
1, 26-27 et Gn 9, 6).
En réalité,
le prologue de Jean est à la fois la clé du 4e évangile et son résumé. Plus
encore, il confirme les paroles du Christ, tout en étant confirmé par ces
dernières. Cette justification mutuelle éclaire les paroles même du Christ qui
est la Parole même de la Vie.
Ainsi, une
première justification peut être donnée au discours du Christ : Il connaît Dieu
à cause de son origine même. Consubstantielle à la Vie, c’est elle qui parle
par le Christ. De ce fait, le témoignage du Christ se suffit à lui-même, nul
besoin d’autre : « Celui qui m’a envoyé dit la vérité et c’est de lui que j’ai
entendu ce que je dis (Jn 8, 28) » (p. 21).
La
dissociation apparente du discours du Christ que l’on peut voir dans l’évangile
entre sa propre parole et celle de Dieu est l’effet d’une sorte de pédagogique
du Christ pour introduire dans la compréhension du mystère. D’ailleurs,
l’unicité de la parole de Dieu et celle du Christ est bien réelle et elle est
affirmée dans Jn 10, 30 : « Moi et le Père nous
sommes un ».
En
définitive, le Verbe est bien l’autorévélation de la Vie. Non seulement le
Christ parle une tout autre parole que la parole du monde, mais Il est cette
parole de la Vie. Michel Henry termine le chapitre VIII en poursuivant sa
réflexion par une question : « Où réside pour nous cette légitimation dernière
que le Christ est en lui-même ? » (p. 114).
Chapitre IX : Paroles du
Christ sur la difficulté pour les hommes d’entendre sa Parole
L’auteur
s’interroge sur la difficulté pour les hommes de recevoir et comprendre le message
du Christ.
Le Christ
nous révèle le mal. Pour y parvenir, il utilise des paraboles. Michel Henry commence
par s’interroger sur la motivation du Christ de parler en paraboles. Si le
Christ parle en paraboles c’est qu’elles sont, par l’analogie, le moyen de
parler de l’invisible au travers du visible. Puis il quitte cette analyse pour
s’engager dans une parabole particulière, celle du semeur à partir de laquelle
il met en relief les trois « figures » du mal qui participent à l’étouffement
de la parole. Cependant, alors qu’il vient de commenter les deux premières « figures
», s’il mentionne la troisième, de manière étonnante, il la quitte
aussitôt, pour passer dès la seconde phrase à l’auto-donation de la vie en
rappelant le don de Dieu exprimé dans son introduction (Jn
4, 11).
Le Christ
nous révèle que la liberté est un don de Dieu. Ce don de Dieu, l’auteur
va l’examiner au travers de « l’exemple » de la liberté de la chair,
liberté éprouvée et vécue dans la mise en œuvre de son pouvoir. L’argumentaire
de Michel Henry se développe en trois temps. Dans le premier est affirmé que ce
pouvoir qui réside dans l’homme, dans son moi, il ne se le donne pas mais il
lui est donné, donné en même temps que la vie et son propre moi dans l’auto-donation
de la Vie absolue. Dans le second, si ce pouvoir qui réside en l’homme lui est
donné alors l’homme est, vis-à-vis de celui-ci, dans une situation «
d’impuissance radicale » comme l’affirme le Christ. Michel Henry, posant
l’interrogation du sens de cette « impuissance radicale », y répond
immédiatement : c’est notre condition de fils. Mais l’homme s’illusionne sur ce
pouvoir car, dans la mesure où il en fait l’expérience sensible, il s’imagine
que ce pouvoir lui appartient et, en conséquence, se croit maître de lui-même :
« Ma vie est à moi ».
Michel Henry
poursuit pour formuler son interprétation de la cause de l’incompréhension par
l’homme de la parole du Verbe. Tout d’abord, parce qu’il s’illusionne sur sa
propre nature et donc sur le monde qui l’entoure, le cœur de l’homme devient
sourd à toute parole qui vient à lui, dans la mesure où il est centré sur son
ego qu’il « idolâtre ». Vivant dans le système de l’égoïsme et donc de
la réciprocité, plus rien ne lui importe que lui-même. Mais aussi en raison du
mal de l’égoïsme que Michel Henry va s’attacher à expliciter en introduisant
l’idée de violence de l’auto-donation. L’auto-donation est violence, car en
même temps qu’elle révèle la vie, elle nous révèle la vérité sur nous-mêmes,
c’est-à-dire, en déclarant ce que nous sommes, nous soumet à la violence du
jugement. Enfin Michel Henry nous explique que ce jugement de notre réalité,
dans l’auto-donation de la vie, conduit l’homme à haïr, d’une part, cette
vérité et, d’autre part, le Verbe, car Il est révélation de cette vérité. Et
donc, c’est lorsque le mal est confronté à cette vérité qu’il devient péché
Chapitre X : Paroles du
Christ sur la possibilité pour les hommes d'entendre sa Parole »
La Parole du
Christ, qui est Parole de Vie, a été interprétée à tort comme parole du monde. Cette
parole du Christ, dans son affirmation qu'il est le Verbe de Dieu, a été
interprétée comme « parole du monde » : ceci parce que les hommes identifient
spontanément toute parole humaine à la parole du monde. Dans cet ordre de
parole, la Parole du Christ, qui est la Parole de la Vie absolue, est en effet
inaudible.
La parole
originaire de l'homme est la parole de la vie, et non la parole du monde. En
tant que l'homme est un vivant, généré dans la Vie, Fils de Dieu, il porte en
lui une parole originaire, « la parole de la vie qui ne cesse de dire à chacun
sa propre vie » (p. 128) ; cette parole parle constamment « sous » la parole du
monde, qui n'en est qu'une expression.
L'homme est
donc capable d'entendre et de comprendre la Parole du Christ. Il y a donc une « affinité
décisive » entre la Parole du Christ et la parole qui parle en nous, comme
étant toutes deux des paroles de la Vie. L'homme qui est né de la Vie est donc
« prédestiné » à entendre la Parole de Dieu (Rm 8,
29). Cette capacité humaine à entendre la Parole de Dieu traverse tout l'Ancien
Testament (exemple : dialogue de Dieu avec Caïn) jusqu'à sa pleine révélation
dans la Parole du Christ.
La
compréhension par l'homme de la Parole de Dieu ne résulte pas d'une faculté intellectuelle,
mais de sa condition de Fils. La compréhension ne renvoie pas ici, comme dans le
discours mondain, au fait de pouvoir saisir des enchaînements d'idées. Il
s'agit d'une « possibilité consubstantielle » liée à la condition de Fils de
Dieu, à la « naissance intemporelle » (p. 131), par laquelle chaque vivant
advient à lui-même dans la Parole de la Vie, qu'est la Parole du Christ.
Mais le lieu de la naissance à la condition de Fils de Dieu, c'est le cœur, « ce cœur dont procède le mal » (p. 131). C'est la Parole du Christ qui construit la relation à Dieu, dans le cœur. Mais en même, elle la compromet, puisqu'en illuminant le cœur, sa Vérité démasque le mal qui s'y tient (Jn 8, 45). Cependant, le fait que le mal haïsse la vérité prouve la persistance du lien du cœur avec la Parole qui l'engendre à la Vie.
La relation
du vivant à la Vie dépend de la nature de la Parole de la Vie qui l'a engendré
; elle ne peut être rompue aussi longtemps qu'il vit. La Vie absolue (Dieu)
s'auto-révèle dans son Verbe ; elle demeure en lui et lui en elle. De même,
chaque vivant est donné à soi dans ce Premier Soi vivant ; il demeure dans
le Christ et le Christ demeure en lui. Ce lien, c'est « l'immanence de la Vie
en chaque vivant » (p. 132), qui ne peut être rompue tant qu'il vit.
Comment et où
entendre cette Parole de la Vie ? Il ne s'agit pas d'entendre, d'écouter, ou de
parler dans le sens limité donné par la parole du monde, dans une extériorité à
soi, dans « l'apparaître du monde ». La Parole de la Vie ne parle ni du monde,
ni dans le monde. Elle « parle la Vie » et le vivant ne peut l'entendre que
dans le silence. Elle parle dans le cœur, qui est le lieu unique de la réalité
et de la vérité de l'homme, le lieu du Soi.
Il y a
finitude du vivant. La médiation du Verbe opère dans l'engendrement de tout
vivant à la vie et ce Verbe est identique au Père. Pour autant, ce Soi est
fini, tout comme la parole de la vie qui parle dans la parole humaine. Nul
vivant ne peut s'apporter lui-même dans la vie. Il est donné à lui-même,
engendré, dans l'autorévélation de Dieu qui est son Verbe : « inévitable médiation
du Verbe en toute génération d'un vivant dans la Vie » (p. 137). Le pouvoir du
Verbe de donner la Vie est le même pouvoir que celui que déploie en lui le Père
(prologue de Jn).
Le pouvoir du
Christ s'exerce, le plus souvent, sur le cœur de l'homme, pour y restaurer la
relation avec Dieu. La purification du cœur entraîne la guérison. Le Christ
revendique le pouvoir de remettre les péchés, pouvoir de restaurer la vie, qui
est l'apanage de Dieu.
Le Christ a
ainsi le pouvoir de donner la vie, de la rendre, de la ressusciter (Jn 11, 25). De l'unité du Verbe et de Dieu dans la
génération éternelle de la Vie découlent l'identité du Fils au Père, la
divinité du Christ (évangile de Jean).
Le dynamisme
de cette « intériorité réciproque d'amour » (p. 140), c'est son extension à tous
les vivants, que demande le Christ au Père (Jn 17).
C'est cela le salut, « le partage à tous les vivants d'une joie sans limites »
(p. 140).
Conclusion : Écouter la
Parole. Ce que le Christ dit à la synagogue de Capharnaüm
Le plan de
cette Conclusion nous semble être le suivant. L’auteur répond dans un
premier temps à la question et au problème posés en Introduction (§1),
puis il rappelle les conditions de recevabilité de cette réponse (§2 et 3),
enfin il examine les trois derniers problèmes pendants et solutions à ces
problèmes (§4 à 32)
En Introduction,
Michel Henry présentait le problème motivant la recherche et l’examen menés
dans le livre. Pour lui, il s’agit de « voir si [oui ou non, les paroles du
Christ] sont capables de légitimer une telle assurance : proférer la Parole de
ce Dieu que le Christ dit être lui-même » (p. 14). Le §1 de la Conclusion
répond directement à ce problème : « Le Christ a légitimé les déclarations
extraordinaires qu’il a formulées à son propre sujet et qui se ramènent à
l’affirmation de sa condition divine ». Autrement dit : selon M. Henry,
l’examen phénoménologique des paroles du Christ mené tout au long du livre
permet de lever tout doute et de conclure à la légitimité de l’assertion par le
Christ non seulement de son humanité mais aussi de sa divinité.
Dans un
second temps (§2 et 3), Michel Henry rappelle que cette réponse au problème général
motivant l’enquête ne se laisse entendre que sous la condition de souscrire à
un concept de la vérité qui n’est pas le concept ordinaire (pour lequel la
vérité d’un énoncé est constituée lorsque cet énoncé vient correspondre à un
objet extérieur, objet dont l’énoncé prétend dire quelque chose). La Parole du
Christ s’autolégitime car elle n’est pas extérieure à son objet, c’est au
contraire elle qui fait advenir son objet, lequel objet lui est intérieur. Elle
n’est pas parole sur la vie, elle est parole de vie (à la
fois au sens où, en elle, la vie se donne et s’exprime mais aussi au sens où
elle donne la vie, le génitif « de vie » dans le groupe nominal « parole de vie
» est en même temps objectif et subjectif).
Il termine en
examinant les trois derniers problèmes pendants et en donnant les solutions à
ces problèmes.
Premier
problème : Comment ne pas rester extérieur à cette vérité vivifiante définie
plus haut ? Pour y répondre Michel Henry énonce les conditions à remplir
pour ne pas rester extérieur à la vérité vivifiante des Paroles du Christ – et
donc aussi pour résoudre le problème. Il faut tout d’abord comprendre ce que
signifie « appartenir à la vérité » et savoir le définir, mais aussi ce que
signifie la « Vérité » vivifiante à laquelle il s’agit de ne pas rester
extérieur et savoir la définir (en donner le concept, bref en produire la
philosophie) (§ 7) et encore que le lieu d’un rapport intériorisé à la Vérité est le « cœur » (§9). D’intéressantes comparaisons avec la
conception pascalienne du cœur seraient à faire car il est clair que pour
Henry, le cœur a ses raisons que la raison non seulement peut connaître mais
encore ne doit pas méconnaître, sous peine de ne pas être tout à fait humain !
Il faut aussi nous mettre en état de lire les Écritures de sorte de les
comprendre à partir de leur lieu propre, le cœur. Ceci nécessite le silence, l’expérience
de l’auto-affection, l’écoute de la voix des prophètes et du Christ, la juste conception
des possibilités et impossibilités du langage humain, la juste expérimentation
de l’autoréférence de la Vie en nous.
Deuxième problème : Comment comprendre la phrase « seul l’Esprit permet de connaître l’Esprit » ? Il y a là comme le notait Dominique Janicaud (dans Le Tournant théologique de la Phénoménologie française) une tautologie dans le raisonnement de Michel Henry. Par ailleurs, comment expliquer que l’Esprit ne parvienne pas à être reconnu par tous ceux qui en participent ? (§ 19). Michel Henry montre que l’explication est à trouver dans le mal : le mal existe et se définit comme « surdité », soit ce qui rend possible et effective une incompréhension de la Vérité, un rapport non intériorisé à elle (§20). C’est l’existence du mal qui explique que l’Esprit ne soit pas reconnu par ceux-là même qui participent de l’Esprit. Nous pouvons découvrir dans cette conclusion les enjeux de l’écoute de la Parole. Il y va du « destin de l’homme » (§21), du « fruit » réel de sa vie et de ses actions (§22 et §23), de sa « conversion » et de sa « régénération » (§24), et aussi de l’humanité elle-même et de la définition qu’on doit en donner. L’expérience religieuse étant pour Henry la preuve de l’humanité et de la liberté de l’homme, on pourrait parler ici de preuve anthropologique : l’homme se définit pour Henry comme « celui qui pourra éprouver et expérimenter en lui la vérité de la Parole du Christ sur lui-même » (p. 153) (ce qui pose le délicat problème – auquel il n’est pas répondu- de savoir si ceux qui ne connaissent pas cette expérience religieuse sont bien humains...). (§25, §26)
Troisième problème : Ne sommes-nous pas condamnés à rester extérieurs à la Vérité et à la Parole du Christ ? Il y a un cercle persistant : Si « seule l’écoute de la Parole peut nous délivrer du mal » et si le mal empêche l’écoute de la Parole qui pourrait nous condamner à rester extérieurs à la Vérité et à la Parole du Christ ? Pour Michel Henry, la réponse à cette question et la solution à ce problème ont été donnés par l’Incarnation du Christ et son advenue dans l’Histoire. La Parole s’est faite chair (Jean 6, 47-57) et ce qu’il nous en est laissé est et reste pour nous chair substantiellement nourrissante (conséquence déductible des assertions de Henry : les Protestants ont tort alors de voir dans le pain et le vin de simples symboles). Pain, vin de l’eucharistie, Écritures, sont substantiellement chair du Christ et donnent la Vie. La manducation du Christ est évoquée §29 à §32 avec un réalisme étonnant.