Domuni Universitas
Le philosophe Michel Henry, à la fois chrétien, théologien et phénoménologue, explore la vie et la vérité à travers le Christ dans son ouvrage Paroles du Christ. Sa pensée originale, centrée sur la vie et l’incarnation, renouvelle la christologie sans rompre avec la tradition. Avec l’aide de son épouse, sa philosophie, complexe mais profondément humaine, devient accessible et influence déjà la théologie contemporaine.
Mots-clés : Michel Henry, Jésus-Christ, Phénoménologie, Incarnation
C’est pour approfondir cette question fondamentale que, sous la conduite du frère Michel Van Aerde o.p., les séminaristes ont lu et commenté attentivement le livre Paroles du Christ, du philosophe Michel Henry. La pensée de ce philosophe se développe selon une phénoménologie qui peut aider à renouveler certains aspects de la christologie.
Dans le résumé de ce séminaire, qui n’est pas l’édition des Actes mais une sorte de relation aussi complète que possible, Frère Michel Van Aerde nous explique son intérêt pour Michel Henry. Il y a, pour son choix, plusieurs raisons dont chacune, à elle seule, suffirait. C’est à la fois un philosophe, un chrétien, un théologien, un prêcheur, un phénoménologue, et un homme qui a de plus en plus de disciples.
Tout d’abord Michel Henry se définit lui-même comme « philosophe de la vie », ni plus ni moins, et c’est peu commun. Ensuite il a écrit un livre qui s’intitule C’est moi, la Vérité, livre incontournable quand on veut parler du lien entre la vérité et la vie. Pour lui, la vérité était une question de vie ou de mort[1], écrit son épouse, Anne Henry. Il le disait à sa manière :
Ma pensée est une pensée dangereuse et non un spiritualisme à l’eau de rose. Elle porte en soi le tragique, la possibilité des plus grandes joies, des plus grandes aventures comme celle de Kandinsky, l’aventure humaine, l’aventure de l’économie. C’est terrifiant, la vie »[2].
Pour lui, penser était un risque, un risque total, un engagement sans retour.
C’est un philosophe de la vie qui devient chrétien et qui finit par écrire un livre sur la vérité comme personne, comme le Christ lui-même. Michel Henry nous intéresse par son évolution personnelle. Il est toujours intéressant, quand on est théologien, d’étudier les intellectuels qui sont devenus chrétiens en suivant le cours même de leur pensée. Le travail intellectuel de Michel Henry l’a conduit au Christ et à Dieu. Bergson, Claudel, Péguy, Dostoïevski, René Girard, Éric-Emmanuel Schmitt y sont aussi parvenus au cœur de leur travail.
Théologien, Michel
Henry l’est aussi un peu. En effet, il écrit une « phénoménologie du Christ »,
en écrivant l’ouvrage qui va nous intéresser : Paroles du Christ, et un autre
dont le titre est Incarnation. Le père Antoine
Vidalin, dans son ouvrage[3]
La Parole de la Vie : la phénoménologie
de Michel Henry et l’intelligence chrétienne des Écritures ainsi que dans son article
« Phénoménologie de la Vie et Théologie »[4],
réfléchit longuement aux rapports du philosophe avec la théologie. Les livres
de Michel Henry invitent à renouveler profondément la pensée chrétienne. Cela
ne veut pas dire qu’il y ait rupture avec la Tradition mais plutôt qu’ils apportent
un éclairage nouveau, dont les effets ne font que commencer. Il est fortement
probable que, dans quelques années, il soit impossible de s’exprimer en
théologie sans faire référence à cette philosophie.
Prêcheur, il
le devient. D’une certaine manière Michel Henry n’est pas seulement philosophe
et théologien, il devient parfois prédicateur, prophète provocateur. Il ne
parle pas seulement de la vie, il appelle à naître et à renaître : il commente
par deux fois l’entretien de Jésus avec Nicodème. Il s’agit d’entrer dans la
Vie absolue et il parle de la chair comme lieu du salut. Encore plus
surprenant, Michel Henry a aussi écrit un évangile, un évangile apocryphe bien
évidemment, Le Fils du Roi, où l’on retrouve, à peine maquillées, les
grandes scènes de l’Eucharistie, de la résurrection de Lazare, de l’agonie, de
l’apparition à Marie Madeleine, mais transposées dans un hôpital psychiatrique,
avec pour thèse principale la question philosophique fondamentale, celle de la
vérité de la vie, une vérité cachée et indémontrable au sens de la «
monstration ».
Si Michel
Henry, que certains célèbrent déjà comme l’un des penseurs les plus importants du
XXe siècle[5],
n’est pas davantage connu, c’est qu’il n’est pas facile à lire, pas même dans
ses romans. De plus il adopte une pensée clandestine : il ne s’inscrit pas dans
les modes ni dans les courants de pensée majoritaires. Sa vie se déroule à
Montpellier (à 50 mètres du couvent des Dominicains) et où il travaille
continuellement, sans souci des effets médiatiques qu’il critique dans ses
écrits.
Phénoménologue,
il l’est dans sa vie. Il se comprend lui aussi dans la manière même de se
manifester et il s’exprime dans un livre intitulé L’essence de la
manifestation. Fascinant, il est un orateur brillant, parlant sans notes et
donnant à son auditoire l’impression de livrer une pensée en cours de
jaillissement. Pour autant, Michel Henry ne cherche pas de disciples. Il n’encourage
jamais à le répéter.
Depuis sa mort, les ouvrages sur son œuvre sont nombreux et ils permettent de mieux entrer dans sa pensée. Surtout, phénomène rare, un auteur est apparu, qui le comprend tout particulièrement et qui ose expliciter de manière plus accessible le système « henryen », c’est son épouse, elle-même philosophe. Il y a quelque chose de très beau, d’impressionnant, de somptueux à ce ministère féminin de l’épouse qui, sans apparaître elle-même, présente son mari au monde en rendant sa pensée accessible au grand nombre. Il s’agit, plus que d’un résumé, d’une véritable épiphanie, d’une manifestation, d’une mise en forme, d’une exégèse, d’une expression qui, à ce degré de qualité, survient comme une œuvre d’art nouvelle, faisant écho à une œuvre d’art originale, à ceci près qu’il ne s’agit pas ici d’une philosophie différente mais de la même philosophie, davantage humanisée. Ce qui convient pour une philosophie de la chair, une philosophie de l’incarnation.
[1] Michel Henry, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p.9
[2] Michel Henry, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p.43
[3] A. Vidalin, La parole de la vie : la phénoménologie de Michel Henry et l’intelligence chrétienne des Écritures, Paris, Éditions Parole et silence, 2006
[4] Michel Henry, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p. 512
[5]
Michel Henry, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p.5