Michel Henry insiste sur une phénoménologie de la vie, invisible et intérieure, où le cœur est le lieu central de l’expérience et de la relation à Dieu. La Parole du Christ se reçoit non par l’intellect mais dans le cœur, révélant la vie et engendrant l’homme à sa véritable condition de Fils. Ainsi, la vérité chrétienne est vécue, incarnée et affective, plus qu’intellectuelle ou historique.
Mots-clés : Vie, Cœur, Révélation
Nous
constatons, remarque le frère Michel, que Michel Henry est souvent provocant
dans sa pensée. Michel Henry aime-t-il provoquer ou sa pensée, par elle-même
est-elle suffisamment à contre-courant des modes pour pouvoir se passer
d’effets spéciaux ? Les deux, probablement. Mais Michel Henry se préoccupe fort
peu des effets de ses formules. Il cherche toujours davantage à approfondir ses
intuitions.
On lui
reproche de ne pas vraiment commenter les auteurs et plutôt de se lire lui-même
dans leurs œuvres. C’est ainsi que son Christianisme d’adoption semble à
beaucoup de ses collègues si « henryen » qu’il ne
peut être question de « nouvelle étape » et moins encore de « conversion ». Il
en est ainsi pour Marx particulièrement car sa lecture renouvelle complètement
l’approche que l’on pouvait avoir jusque-là de cet auteur. Marx devient « henryen »[1],
dans la mesure où la ‘digestion’ qu’en fait Michel Henry en transforme radicalement
la lecture. Que dirait Marx de la lecture henryenne
de son œuvre, s’y retrouverait-il ? Cette question se pose de la même façon
pour la lecture « henryenne » du Christianisme avec
cette différence que si Marx n’est plus là pour se « défendre », les chrétiens,
en revanche, peuvent réagir à la présentation très originale que leur propose
M. Henry.
Pour lui, la
vie ne peut s’objectiver, elle ne peut se mesurer. Or c’est elle qui produit la
richesse. Le travailleur ne peut pas déposer son travail à l’entrée de l’usine
et revenir quelques heures après pour le récupérer. Il fait corps avec la vie,
sa vie… Michel Henry lit Marx et trouve en lui un philosophe. Il montre que le
marxisme, par la force des choses, s’est élaboré en l’absence des œuvres
philosophiques de Marx puisque celles-ci n’étaient pas encore publiées lorsqu’il
s’est constitué… et qu’ainsi « le marxisme est l’ensemble des contresens qui
ont été faits sur Marx[2]
car « Marx est l’un des premiers penseurs chrétien » ! On ne doit cependant pas
oublier que Michel Henry n’a rien d’un révolutionnaire de gauche… il suffit de
lire L’amour les yeux fermés pour percevoir son allergie profonde
au mouvement de mai 1968.
Provocation ?
« Ce que le Christianisme considère comme la vérité, diffère du concept moderne
de vérité » (Anne Henry). Ceci est une affirmation qui mérite d’être méditée et
comprise… nous y reviendrons. Surtout quand on ajoute qu’un « vigoureux
préalable méthodologique exclut que la connaissance de celui-ci dépende des
textes qui en parlent. Seule la référence du texte à la réalité fait la vérité
de celui-ci. » (Anne Henry). Il nous est proposé ici une relation aux Écritures
qui renverse l’ordre de l’étude et qui éclaire tout autrement le travail de
l’herméneutique, le travail de l’exégèse et leur rapport à leur vérité.
L’originalité de la pensée de Michel Henry peut se découvrir en trois temps. Il nous propose une phénoménologie de la vie, il nous fait découvrir une autre vérité qui est celle de la Vie, et il nous surprend en affirmant que les Écritures ne sont pas la Parole de la Vie.
Michel Henry
n’est vraiment pas un phénoménologue de l’extériorité. Il est allé rencontrer
Heidegger et il s’en est séparé. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas la
phénoménologie du monde, c’est la phénoménologie de la vie. Il est un chercheur
fondamental, plus encore que Husserl, plus encore que Heidegger, et il marque
une rupture radicale avec eux. Il effectue un renversement de la phénoménologie
puisqu’il ne cherche pas la phénoménalité mais une phénoménologie de la vie,
dans l’expérience immanente de celle-ci.
« La
conception d’Heidegger réduit la manifestation du vivant à son apparition sous
forme d’étant dans l’éclaircie du monde » (Anne Henry). Il y a, dit
Michel Henry « une maladie de la vie » qui est l’occultation par
l’homme de son être propre. Une auto-négation de la vie provoque l’angoisse.
Qu’est-ce que la vie ? Ce qui se ressent soi-même
Cette
question retentit à la dernière ligne de la dernière page de son dernier tome
sur Marx : « la question abyssale : ‘qu’est-ce que la vie ?’ »[3]…
La vie est la capacité « de se sentir et de s’éprouver soi-même en tout point
de son être[4]».
Elle est donc force et affect, invisible par essence. Elle est une pure épreuve
de soi et un passage toujours renouvelé de la souffrance vers la joie[5].
La pensée pour lui n’est pas l’essentiel, elle n’est qu’un mode de la vie, sa perception
de la vérité diffère donc totalement de la traditionnelle expression « adequatio rei ad intellectum
». C’est la vie qui permet à la pensée d’accéder à soi[6].
Comme l’écrit
Jean Luc Marion dans sa contribution au volume publié en 2009 par l’Age d’Homme
(p 232) :
« La longue polémique de Michel Henry, qui le mit en opposition non seulement à Sartre et Merleau-Ponty, mais surtout à Husserl et Heidegger, ne fut pourtant sans doute pas solitaire : Levinas, à sa façon partageait la même querelle, de mesurer quels phénomènes se phénoménalisent selon l’invisible, et uniquement sous cette lumière nocturne. Après tout, le visage ne se voit pas plus que le dire ne s’entend, l’appel ne quitte pas plus l’invisible que son écoute. Et, si seul ce qui se donne peut se montrer, la donation elle-même, qui rend ainsi possible la monstration, ne saurait jamais se montrer ni convertir son invisibilité en visibilité. »
La vie est invisible
La vie est invisible[7].
Elle est pure auto-affection, elle se sent elle-même, elle s’éprouve dans une
intériorité qui n’est pas visible de l’extérieur, dans une immanence radicale.
On ne voit jamais la vie elle-même mais seulement des êtres vivants et l’on ne
peut pas voir la vie en eux, mais les effets de cette vie. L’économie, nous
l’avons vu est aussi à repenser, car le travail, ce qui crée la valeur, n’est
pas mesurable.
Mais la théorie freudienne est aussi à repenser. Le projet de faire advenir l’inconscient à la lumière est impossible, l’existence même de l’inconscient est rejetée… L’entreprise d’explicitation de l’inconscient est philosophiquement vouée à l’échec. Par nature, la vie n’est pas visible, n’est pas accessible. On ne peut pas mettre la main dessus, on ne peut pas la mettre « au monde ». La psychanalyse avait alors pignon sur rue, elle faisait autorité quand Michel Henry écrit son ouvrage sur Freud : Généalogie de la psychanalyse, le commencement perdu. Michel Henry, d’une manière alors perçue comme blasphématoire, anticipait intellectuellement ce que la pratique et l’expérience ont démontré. « La déviation du freudisme pense que la conscience réside dans la représentation, avec cette conséquence, la vie n’est que force aveugle, inconsciente, source de ravages. » (Anne Henry) « Freud n’a pas vu que c’est en fait la libido inemployée et non le refoulement qui provoque l’angoisse[8]».
Les relations entre les vivants se produisent hors du monde
La Vie est un
être en commun explique Anne Henry. La relation entre les vivants est donc première,
en cela Michel Henry rejoint Levinas. Elle précède l’expression de celle-ci.
Elle me précède même.
« C’est une erreur de la philosophie
moderne que de penser la relation à autrui à partir de l’ego que je suis. La
relation entre les ‘ego’ doit le céder à la relation entre les Fils. La Vie est
un être en commun[9]»
(Anne Henry). « La communauté est une nappe affective souterraine et chacun
boit la même eau à cette source et à ce puits qu’il est lui-même – mais sans le
savoir – sans se distinguer de lui-même, de l’autre, ni du Fonds[10]»
(Michel Henry). « Toute communauté est invisible, l’individu n’est pas un être
dans le monde, les relations entre les vivants se produisent hors du monde »
(Anne Henry) ibid.
Au plan psychologique, Michel Henry insiste sur la
filiation, dans le Fils éternel, là s’effectue une nouvelle naissance, un autre
rapport à soi et à sa propre vie, un autre rapport aux autres, à la communauté,
à Dieu.
« C’est parce que, dès l’origine et éternellement, je suis co-engendré avec tout autre que soi vivant, dans le Premier Vivant, c’est parce que j’ai ainsi déjà rencontré tout vivant possible dans le processus absolu de mon co-engendrement, que je puis rencontrer quelqu’un dans le monde. La possibilité de la relation intersubjective renvoie ainsi à une phénoménalité de l’invisible. Cette possibilité est énoncée en termes imagés dans le récit de la création d’Eve à partir d’Adam. Le récit décrit en effet l’unité première et charnelle qui préside à la rencontre de l’autre. Ainsi Isaïe, parlant de la relation aux pauvres et aux malheureux : « à ta propre chair, tu ne te déroberas pas » (Is 58, 7). Que cette relation soit au bout du compte un échec, que l’autre ne puisse jamais être rejoint en sa vie intime, là où il s’éprouve lui-même, renvoie à d’autres considérations que le récit de la Genèse mentionne par ailleurs : le péché, les tuniques de peaux, l’opacité des corps. Mais cette relation constitue peut- être l’intentionnalité fondamentale d’une parole : se signifier et se communiquer à un autre dont la vie nous est tout à la fois impénétrable et pourtant intérieure.[11]»
« Il y a « une affectivité, un se-sentir originel qui est littéralement la chair de notre être. Donc tout sentir quelque chose présuppose le se-sentir soi-même du sentir. C’est là que se situe notre vie. Et même le monde, en somme, n’est possible que si nous sommes d’abord dans la vie. Notre ouverture au monde est un fait de la vie, et elle doit arriver à un point où elle s’éprouve elle-même dans cette immédiation où il n’y a pas de lumière. C’est un invisible qui est aussi le plus certain. Il ne faut pas prendre le mot invisible comme négatif au point de vue phénoménologique. L’invisible désigne en réalité la première forme de révélation, la plus radicale, secrète parce qu’on ne peut pas la voir, mais incontestable car ce qui s’éprouve, on ne peut dire qu’on ne l’éprouve pas. Et c’est à ce niveau-là que se produit la révélation de la vie, que j’ai traitée comme la révélation originaire[12] ».
« Cette vérité ne peut non plus être
réduite à la ‘vérité’ problématique de l’histoire, incapable de saisir la
réalité des individus et dont l’événement dont elle se veut témoin répète
l’impuissance de l’événement à se poser dans l’être. Ces incapacités sont formulées
dans le Nouveau Testament qui affirme que seule la Vérité qui est la sienne peut
rendre témoignage d’elle-même ». (Anne Henry)
« Le concept d’être est à congédier »
Michel Henry invite à dépasser toute une philosophie de l’être reprise d’Aristote par Thomas d’Aquin. Ce n’est pas en un paragraphe que l’on peut se libérer d’un tel monde intellectuel. Une petite citation d’Anne Henry nous indique ce chantier intellectuel immense : « La vie n’est pas, le concept d’être est à congédier. Elle advient et ne cesse d’advenir. Elle n’est pas non plus un milieu phénoménologique où baigne tout ce qui est vivant, ni un monde intérieur qui serait l’antithèse du monde de l’au-dehors. » (Anne Henry)
« J’entends à jamais le bruit de ma naissance »
Michel Henry
peut être poète, comme il est romancier, mais il ne cesse jamais d’être philosophe.
Pour lui, il est clair que l’homme n’est pas à lui-même son propre fondement.
Il se reçoit, dans une relation de filiation, dans un engendrement par la
Parole de la Vie. Il ne peut pas y avoir de généalogie.
La vie n’est
pas une substance universelle, aveugle, impersonnelle et abstraite, elle est nécessairement
la vie personnelle et concrète d’un individu vivant, elle porte en elle une
ipséité qui est consubstantielle et qui désigne le fait d’être soi-même, qu’il
s’agisse de la vie personnelle et finie des hommes ou de la vie personnelle et
infinie de Dieu.
« L’affirmation de la virginité de Marie
cache mal, derrière son contenu apparemment absurde, la thèse essentielle du
Christianisme, à savoir qu’aucun homme n’est le fils d’un homme, et pas
davantage d’une femme, mais seulement de Dieu (…) Dans la vérité du monde tout
homme est le fils d’un homme, et donc aussi d’une femme. Dans la Vérité de la
Vie tout homme est fils de la Vie, c'est-à-dire de Dieu lui-même[13]».
Il s’agit de
prendre le Christ au sérieux et devenir des fils, d’oser être des Fils :
« Le discours que le Christ tient sur
lui-même, nous l’avons considéré depuis le début de ces analyses comme le
contenu essentiel du Christianisme. Il apparaît que ce discours ne vaut pas
seulement pour le Christ mais concerne aussi bien tous les hommes dans la
mesure où ce sont, eux aussi, des Fils. En fait de Fils il n’y en a que dans la
Vie, engendrés par elle. Tous les Fils sont Fils de la Vie et, pour autant
qu’il n’y ait qu’une seule Vie et que cette Vie est Dieu, ils sont tous les
Fils de Dieu. Si le Christ n’est pas seulement l’Archi-Fils transcendantal
immergé dans sa symbiose éternelle avec le Père, si au regard des hommes il se
dresse comme une figure emblématique et radieuse qui les fait tressaillir au
fond d’eux-mêmes, c’est parce que cette figure est celle de leur condition
véritable, à savoir leur propre condition de Fils. Ainsi le discours que le
Christ tient sur lui-même et qui consiste dans une élucidation radicale de la
condition de la Vie et du Premier Vivant pour rejaillir sur la condition humaine
tout entière et placer celle-ci sous une lumière qu’aucune pensée, aucune philosophie,
aucune culture ni aucune science n’avait encore osé projeter sur elle…[14]».
Michel Henry
commente longuement les versets bibliques : « Ne donnez à personne le nom de
Père, car un seul est votre Père, celui du Ciel » (Mt 23,9) cité ibid. p 95 et
« eux qui ne sont nés ni du sang ni d’un vouloir charnel ni d’un vouloir
humain… mais de Dieu » (Jn 1, 12) p 100, « qui est ma
mère et qui sont mes frères ? …quiconque fait la volonté de mon Père qui est
dans les cieux, c’est lui qui est mon frère et ma sœur et ma mère. » (Mt 12,
48-50) p 103. Il éclaire l’inversion de la chronologie : « Celui qui vient
après moi a passé devant moi, parce qu’il était avant moi » (Jn 1, 15) p 106. L’aveugle né « bien que voyant le Christ,
l’aveugle né doit encore croire en lui, croire qu’il est le Christ comme si en
effet le voir était encore incapable de donner accès à lui ». p 107. L’entretien avec Philippe « Ne crois-tu pas que je
suis dans le Père et que le Père est en moi ? » (Jn
14,7) p 108. « Le monde ne me verra plus mais vous vous me verrez parce que moi
je suis vivant et que vous vivrez vous aussi » (Jn
14,18).
Comme Michel
Henry l’écrit :
« La subversion de l’ordre humain fondé
sur la généalogie humaine est totale, renvoyant non moins évidemment à un autre
ordre, celui de la généalogie véritable : « N’allez pas croire que je sois venu
apporter la paix, mais la guerre. Je suis venu en effet, diviser et jeter
l’homme contre son père, la fille contre sa mère, la bru contre sa belle-mère,
et chacun aura pour ennemis les gens de sa propre maison. Celui qui aime son
père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi, et celui qui aime son
fils ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi » (Mt 10, 34-37).
Sous le
caractère en apparence éthique de ces prescriptions s’affirme une phénoménologie
:
« C’est parce que le père humain, avec la
constellation des relations construites autour de lui, n’est qu’un père
apparent que ce réseau de relations n’est lui-même qu’apparent et fait
naufrage. Mais le père humain n’est un père apparent que parce qu’il est un
père mondain : c’est parce que la vie ne se montre pas dans le monde qu’aucune
génération ne s’y produit et que dans le monde aucun père n’en est un, non plus
qu’aucun fils. » p 103
Pour une nouvelle approche de l’acte de foi
Cette
approche de la Vérité permettrait d’écrire à nouveaux frais une théologie de
l’acte de foi : celle-ci comporte une conviction, une certitude, une
expérience qui n’est pas dans la lumière de l’extériorité. Elle est aussi
vérification dans le concret de la vie, de ce qu’elle perçoit comme vrai. La
foi aussi nie parfois le réel, au profit d’un réel plus réel encore, qui va
remplacer le premier : elle fait naître l’espérance et, ce faisant, transforme
le monde, plante des arbres dans la mer et déplace les montagnes. On comprend
que la foi soit salvatrice : elle est entrée- dans-la vie, en son
autorévélation. « La vie n’est rien d’autre que ce qui s’auto-révèle » (Anne Henry)
A.Vidalin précise dans son livre
comment Michel Henri arrive à cette conclusion[15]:
« Cette vérité n’est pas celle du monde, ainsi que le Christianisme ne cesse de
l’affirmer. C’est pourquoi les Écritures, en tant qu’elles se donnent dans la
vérité du monde, ne suffisent pas à témoigner pour ou contre la vérité du
Christianisme. Il y a une impuissance du document écrit à poser la réalité de
l’événement dont il se veut le témoin, qui répète l’impuissance de l’événement
lui-même à se poser dans l’être » (C’est moi la vérité, Michel Henry,
cité par A. Vidalin pp 14-15).
Où
s’accomplit la Révélation ? « Dans la Vie. Car la vie est (…) l’autorévélation
en tant que telle » (C’est moi la vérité, Michel Henry, cité par A.
Vidalin p39).
Plus loin A. Vidalin explicite ce qui aide à la compréhension des
Écritures[16]:
« C’est la Parole de la Vie qui nous donne de comprendre les Écritures, et non l’inverse. Michel Henry rappelle comment les scribes, « ces exégètes très savants qui, au temps du Christ, connaissaient si parfaitement les Écritures » (C’est moi la vérité, Michel Henry, cité par A. Vidalin 165) entendirent la Parole du Christ et ne la comprirent pas. La raison essentielle de cette incompréhension ce n’est pas le texte qui porte sa propre intelligibilité : « seule la vie qui nous donne à nous-mêmes nous permet de reconnaître en nous la vie qui nous parle à travers les textes sacrés en usant de notre langage » (C’est moi la vérité, Michel Henry, cité par A. Vidalin 167)
De plus, il y a une histoire du
texte et de ses relectures[17]
:
« De ces écritures, lectures et réécritures successives, les Écritures témoignent dans leur lettre même. Elles sont les seuls écrits dont l’élaboration est intérieure à l’histoire qu’elles relatent, et non seulement intérieure mais déterminante de cette histoire même, à tel point que l’histoire devient au fond celle même du processus d’écriture.
C’est pourquoi il est partiel de demander
à une histoire « objective » de déterminer la vérité des Écritures comme de
croire que les Écritures livreraient une science historique. Ce lien
intrinsèque entre histoire et Écriture est l’expression du dialogue entre Dieu
et son peuple dans lequel il n’y a pas deux paroles qui s’échangeraient à distance,
mais la Parole de la Vie qui parle pour dire la Vie en ceux qui la reçoivent parce
que c’est en elle qu’ils ont été créés »
Écritures et canon des Écritures
A. Vidalin explicite le lien Écritures et canon des Écritures[18]:
« Choisir de clore les Écritures, ce n’est pas arrêter l’histoire, mais bien au contraire la relancer, c’est désigner un accomplissement à venir au-delà de l’histoire, c'est-à- dire de Dieu, et cependant dans l’histoire (ainsi, en fermant la Torah juste avant l’entrée du peuple d’Israël en Terre promise, les rédacteurs nous révèlent son caractère prophétique). C’est reconnaître l’impuissance de l’homme à atteindre son accomplissement et la puissance de Dieu à l’y conduire. C’était faire droit au Dieu rencontré, qui parle infiniment dans des vies finies, qui est à la fois créateur de l’univers et présent au cœur de l’homme, un Dieu dont la fidélité à l’homme s’origine dans sa création même et ira jusqu’à son accomplissement qui consiste à le faire entrer dans une communion définitive avec lui. Ne pas clore, c’était s’engager dans un processus indéfini d’écrits se superposant, c’était avouer un Dieu impersonnel et incommunicable. La décision de clore les Écritures fut donc spirituelle, fidélité à Dieu tel qu’il s’est révélé dans sa Parole ; c’est pourquoi les rédacteurs finaux furent aussi prophètes. Selon ce que nous transmet la tradition juive, la prophétie cessa après eux. Mais les écritures avaient été reçues, en lesquelles était enclose la Parole de Dieu. Elles allaient devenir la matrice d’un peuple qui, à l’écoute de ses Écritures, était enjoint de faire advenir dans sa vie leur accomplissement. »
Comment le Christ lit, accomplit, éclaire les Écritures ?
« (…) Les Écritures attendent leur lecteur celui qui pourra ouvrir le Livre et le lire à la lumière du même Esprit qui inspira son écriture. Ce lecteur sera le Messie, l’Oint du Seigneur, rempli de l’Esprit du Seigneur, homme engendré par le Père à travers ces mêmes Écritures, capable de ressusciter ses mots morts dans sa propre vie, et ainsi de les accomplir » C’est ce qu’explique A. Vidalin[19].
« Le Christ n’accomplit pas les Écritures en exécutant un plan tracé d’avance, mais en les vivant, en les remplissant c’est à dire en leur donnant une profondeur vécue »[20]
« …Le Christ est donc, par toute sa vie,
l’exégèse de l’Écriture : non d’abord en l’interprétant, mais en la vivant
jusqu’au bout, jusqu’à la confirmation de l’amour de son Père en se manifestant
dans sa Résurrection et sa glorification. Il en devient alors l’exégète,
interprétant aux disciples d’Emmaüs, « dans toutes les Écritures, ce qui le concernait
» (Lc 24, 27). On sait que l’illumination spirituelle
intervient pour ces derniers lors de la fraction du pain, dans le don de
l’Eucharistie. Car c’est seulement dans la chair du Verbe que les mots trouvent
leur réalité spirituelle, c'est-à-dire leur vérité. (…) Connaître le Christ,
c’est connaître en retour les Écritures qui s’ouvrent désormais pour nous : «
quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait
dit cela, et ils crurent à l’Écriture et à la parole qu’il avait dite » (Jn 2, 22). Cette connaissance est une foi, fruit de la
Résurrection, qui s’attache du même mouvement à l’Écriture et à la Parole du
Christ. Désormais l’Église entre, à la lumière du Christ ressuscité, dans
l’intelligence spirituelle de l’Écriture. De cette intelligence, naîtront les
épîtres apostoliques qui achèveront de constituer le Nouveau Testament ».[21]
« C’est à partir de l’Écriture et dans la
foi que la rationalité théologique s’exerce, non pas comme une autre
rationalité, mais comme accomplissement de l’intelligence révélée à elle-même
dans le Christ qui est vérité et pouvant ainsi témoigner de lui dans un
discours rationnel, offrant à des réalités singulières vécues par un peuple
particulier dans ses rapports avec le Dieu vivant, une portée universelle.
Cette rationalité, on l’aura compris, n’est pas celle du Logos grec, mais du
Logos de la Vie : avant que de connaître, elle se découvre connue parce
qu’aimée et vivante dans le Verbe de Vie : « à présent, partielle est ma
science, mais alors je connaîtrai comme je suis connu » (1 Co 13, 12). Telle
est l’intelligence spirituelle, plus ancienne et plus neuve que l’intelligence
noétique qu’elle restaure et accomplit »[22].
Le cœur
« Près de toi est la Parole, dans ta bouche et dans ton cœur » (Rm 10, 8). L’action de la Parole est intérieure, immanente, elle parle dans les croyants et les révèle à eux-mêmes comme fils de Dieu.[23]» Michel Henry prend appui, pour illustrer la place du cœur dans la réception de la Parole, sur deux épisodes du Nouveau testament, celui de Philippe avec de l’eunuque et celui des disciples d’Emmaüs.
L’eunuque et Philippe[24]
« L’épisode de Philippe avec l’eunuque est révélateur. Comment en effet, l’eunuque pourrait-il comprendre ce qu’il lit (le texte du Serviteur souffrant), « si personne ne le guide » (Ac 8,31) ? Car cet oracle, et de manière générale, tout l’Ancien Testament éveille la question d’un Qui ? De celui qui l’accomplira. C’est pourquoi l’eunuque demande : « de qui le prophète dit-il cela ? De lui-même ou de quelqu’un d’autre ? » (Ac 8,34) C’est à partir de cette question que Philippe peut lui annoncer « la bonne nouvelle de Jésus » (Ac 8, 35). Ce faisant, Philippe n’interprète pas le texte d’Isaïe, il ne cherche pas à formuler une autre signification qui éclairerait de l’extérieur celle, immédiate, du texte. La question de l’eunuque ne va d’ailleurs pas dans ce sens mais porte sur celui qui vit réellement ce que décrit l’oracle d’Isaïe : les souffrances et les humiliations au degré extrême d’un serviteur de Dieu, se transformant en une joie et un salut pour tous. La question nous reconduit à l’intérieur du texte, à son mystère caché qui est une chair, celle du Verbe qui soutient toute chair et qui, déjà, parlait dans les prophètes, dans leurs paroles et dans leur vie ; qui, déjà, vivait et souffrait en eux, « depuis le sang d’Abel le Juste jusqu’au sang de Zacharie » (Mt 23, 35). Or ce Verbe présent à toute l’histoire du salut et appelé par elle, c’est Jésus-Christ qu’annonce l’Évangile dont la Passion-Résurrection accomplit l’humanité (et toutes les Écritures) et manifeste la divinité.
Mais l’annonce de Jésus-Christ comme ce
Quelqu’un, « celui-là » dira saint Jean, est remise, non à un texte, fût-il celui des Évangiles, mais à un témoin (ici
Philippe), à une personne dont la vie atteste l’Évangile déjà reçu, la
résurrection du Christ déjà participée. Car le Verbe est la vérité de chaque «
je suis », étant lui-même, nous l’avons déjà dit, le « Je Suis » divin, en
lequel chacun trouve le fondement de sa personne. Plus décisive encore que la
parole de l’annonce est celui qui l’annonce, étant
d’abord lui-même Parole – car en lui, le Verbe a parlé, lui donnant d’éprouver sa
propre vie dans le jaillissement de la Vie du Ressuscité. Ce n’est donc pas
d’abord un message qu’il s’agit de transmettre, mais une Vie qui, étant en
Christ, est celle qui joint chaque soi à lui-même et constitue la relation de
chaque soi à autrui (cf. les développements de Michel Henry sur
l’intersubjectivité, p 65 et IN pp. 3339-360). C’est pourquoi l’auditeur entend
« un homme » avant d’entendre un « message ». Cette écoute validera ou non les
paroles prononcées, leur adéquation ou non à ce qui est vécu. L’eunuque peut
donc entendre l’Évangile que lui annonce Philippe parce que : Jésus-Christ est
celui qui vit dans le témoin. Étant le Verbe de Vie, il joint originellement
l’eunuque à lui-même, portant ses propres souffrances et son péché, et le
conviant à devenir celui qu’il est en vérité et qu’il attend secrètement de
devenir, fils dans le Fils Il constitue la relation de Philippe à l’eunuque,
relation qui est rétablie dans l’amour, c’est à dire dans sa réalité. Il est
ainsi donné à l’eunuque d’être bouleversé par l’annonce de Philippe, car il
rencontre tout à la fois un frère, Jésus- Christ, et lui-même. Il lui faut
alors demander le baptême, c'est-à-dire reconnaître sa radicale passivité par
rapport à cette Vie qui lui est donnée dans le Christ, en étant plongé dans sa
mort et sa Résurrection, pour lui être uni et être engendré à la vie de Fils.
Telle est l’obéissance de la foi qui n’est pas simple adhésion intellectuelle,
mais engage un corps, une chair qui, se démettant d’elle-même, de son ego,
accepte de mourir à soi, pour recevoir « le bain d’eau qu’une parole
accompagne. » (Ep 5, 26)
Emmaüs
: Le cœur brûlant[25]
« L’intelligence spirituelle de l’Écriture est une personne, Jésus-Christ, Verbe incarné. Cette intelligence est celle de l’Esprit qui parle au cœur, c'est-à-dire dans une chair, pour lui dire son intériorité mutuelle avec le Verbe qui est sa vérité. L’épisode de l’apparition de Jésus-Christ aux disciples d’Emmaüs va nous permettre de préciser le lien entre la parole prononcée et sa réception dans le cœur.
Les disciples ont connu Jésus à la manière humaine. Voici que ce dernier, ressuscité, chemine à leur côté sans qu’ils le reconnaissent, et leur explique ce qui, dans toutes les Écritures, le concernait. Comme dans l’épisode de l’Eunuque, il s’agit de connaître celui à qui renvoient les Écritures, celui qui les accomplit, en souffrant pour entrer dans sa gloire, c'est-à-dire le Messie.
Malgré ses paroles, ils ne le reconnaissent pas. Pourtant, après la fraction du pain, grâce à laquelle « leurs yeux s’ouvrirent », ils confesseront : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous ouvrait les Écritures ? » Ainsi, avant que les yeux s’ouvrent, le cœur, déjà, était brûlant.
(…) Ainsi, lorsque le témoignage chrétien
parle, toujours déjà, une affection a parlé, chair brûlante. Cette antériorité
n’est pas temporelle ou causale. Elle est de fondation et nous renvoie à la
duplicité de l’apparaître et de la parole, exposée par Michel Henry.
C’est ainsi que se donne le Christ, lui qui, avant d’être un nom reconnu dans le monde, parle en toute vie pour l’entraîner dans la sienne. Le cœur brûlant des disciples est celui de leur désir, désir que la vie a de vivre, de s’aimer en celui qui l’aime en la donnant à elle-même, désir inscrit en notre naissance éternelle, ressuscité par la Parole du Seigneur mais qui ne rencontre pas encore son assouvissement, le cherchant encore à l’extérieur, dans le monde. Ce n’est que dans la fraction du pain que le désir se découvre déjà secrètement habité et se convertit vers son origine, vers celui qui se donne à eux dans l’Eucharistie, « disparaissant de devant eux » pour être en eux. Alors le désir se découvre exaucé. C’est ainsi que la reconnaissance du Christ comme Vie de notre vie, et donc de l’intelligence spirituelle, s’accomplit pleinement dans l’Eucharistie, lorsque le Christ dont il est fait mémoire, ressuscité en son Église, vient s’unir à notre chair et en apaiser le cœur brûlant. »
« Le péché a creusé l’abîme séparant deux phénoménalités, de telle sorte que seul le Christ peut surmonter cet abîme, révélant en notre cœur, dans sa visibilité, le mystère invisible de sa personne comme étant le Verbe qui nous donne à nous-mêmes en notre chair, comme le « se donnant à soi-même charnel » dont l’Eucharistie est la réalité. C’est dans la foi que nous sommes reconduits à cet invisible, présent dès l’origine à notre vie. Dans cette même foi, nous accueillons les Écritures comme parlant de Lui, et donc de nous. »
« Le symbole ne fait pas que joindre
ensemble plusieurs significations, mais il puise sa force dans la réalité d’une
chair. Si l’eau est symbole, c’est qu’elle puise sa réalité dans l’expérience
de la soif, et aussi de sa désaltération, du lavement du corps. »
Michel Henry perçoit le Christianisme avec les yeux d’un mystique. Il a beaucoup lu et médité Maître Eckhart et le cite à loisir « L’œil dans lequel je vois Dieu est le même œil par lequel Dieu me voit[26]». Dieu est invisible, écrit saint Jean.
J’ai fait ce
livre sur le Christianisme qui est en fait un livre de phénoménologie radicale,
portant sur ce qui vient avant notre vie mais qui est dans notre vie, une sorte
de lecture en arrière, partie à la recherche d’un sujet avant du sujet, d’un
avant le moi. Incarnation est un livre sur un ‘avant la chair. La vérité du
Christianisme est vérité pure »[27].
Michel Henry
déplace la question de la vérité. Il invite à revenir à une philosophie première,
qui s’intéresse à la vérité de la vérité, à la nature même de la vérité, bien
plus radicalement que la question du vrai ou du faux. Il s’agit d’une autre
Vérité que celle que l’on est habitué à considérer. Ce que le Christianisme
considère comme la vérité n’est pas la question du vrai ou du faux.
Dès les
premiers mots de son livre (Moi, je suis la Vérité p 7), Michel Henry
attire notre attention :
« Notre
propos n’est pas de nous demander si le Christianisme est ‘vrai’ ou ‘faux’, d’établir
par exemple la première de ces hypothèses. Ce qui sera ici en question, c’est plutôt
ce que le Christianisme considère comme la vérité, le genre de vérité qu’il propose
aux hommes, qu’il s’efforce de leur communiquer non pas comme une vérité théorique
et indifférente, mais comme cette vérité essentielle qui leur convient par quelque
affinité mystérieuse au point qu’elle est la seule capable d’assurer leur
salut… Il y a bien des sortes de vérités, bien des manières d’être vrai ou
faux. Et peut-être aussi d’échapper au concept de vérité qui domine la pensée
moderne et qui, tant en lui-même que par ses implications multiples, détermine
le monde où nous vivons. Avant de tenter une élucidation systématique du
concept de vérité, afin de connaître la vérité insolite et enfouie propre au
Christianisme, vérité en totale opposition avec celle que nous prenons
naïvement aujourd’hui pour le prototype de toute vérité concevable, un problème
préalable se pose. Il s’agit de délimiter de façon au moins provisoire ce qui
sera interrogé sur la nature de la vérité qu’il professe : qu’appelons-nous
donc Christianisme. »
« Le cœur est le lieu où l’homme
entend la Parole de Dieu », selon Michel Henry[28]
le cœur est le « lieu » où l’homme peut entendre. Mais qu’est-ce que ce cœur ?
A l’origine,
sans parler du cœur comme « un organe physique, » les Hébreux emploient ce mot
« lebh » et synonyme « lebhabh » pour signifier l’«
intériorité » de l’être humain (sa personnalité et son caractère (1Sam 16, 7),
ses émotions et sentiments (1Sam 4,3), la vie intellectuelle (1R3,9) et
également la volonté ou son dessein (1Sam 2,35).
Le milieu
dans lequel Jésus a exercé sa mission publique n’a pas altéré l’utilisation de
ce terme et le rapproche du terme moderne de « personne ». Ainsi, le terme « Kardia » comprend toutes les dimensions de la personnalité
humaine (rationnelle, affective et volontaire).
La
rationalité de l’homme se manifeste du fait qu’il est créé à l’image et à la
ressemblance de Dieu (Gn 1,26). Cet intellect siège
dans son cœur et de là, il exerce son pouvoir sur la nature, les poissons de la
mer et les animaux sauvages. Par là même, l’homme est capable de comprendre et
de choisir parmi plusieurs options, selon le sentiment de son cœur. Plus
encore, l’aspect volontaire est attaché au cœur de l’homme : le pouvoir de
décider et d’agir. Du fond de son cœur, l’homme se voit invité, pas seulement à
désirer mais aussi à agir selon ce qu’il désire. Toutes les décisions, tous les
actes trouvent leur origine dans le cœur de l’homme.
Jésus n’est
pas le premier à parler du cœur de l’homme, comme étant le siège de la sagesse,
de la connaissance, de la volonté et de tous les actes qui mènent soit à la vie
soit à la perdition. Moïse et les Prophètes ont beaucoup parlé de la vraie
relation existante entre le cœur de l’homme et la Parole de Dieu. Moïse, le
grand législateur, le fondateur de la nation sainte…Ex 19, invite l’homme à
garder fidèlement la Parole de Dieu dans son cœur (Dt
6,6), de même le Prophète Jérémie invite l’homme à accepter la proposition de
Dieu d’inscrire sa Loi, sa Parole dans son cœur (Jr 31, 33).
Jésus de
Nazareth, a-t-il ajouté quelque chose de nouveau dans la conception de l’homme et
de son comportement géré par son cœur ? Étant vrai Dieu et vrai Homme, Jésus
parle aux hommes en employant leur langage. À travers ses Paroles, il leur
montre la complexité existante dans leur vie et donc dans leur cœur, qui d’une
part les empêche de croire et d’accepter ses Paroles et d’autre part, les
conduit à leur perte. En disant « … Là où se trouve son cœur, là aussi est son
trésor… » (Mt 6,21) et encore, « l’homme du bon cœur tire les bonnes choses de
son bon trésor, alors que l’homme de mauvais cœur tire les mauvaises choses de
son mauvais trésor » (Mt 12,35), Jésus veut montrer à cet homme qui écoute ses
Paroles, le contenu complexe de son cœur, auquel il se réfère constamment.
Par de
nombreuses paraboles, mais particulièrement celle du semeur…cf. Mc 4,1-20, Jésus
fait comprendre à l’homme qu’il y a du mal dans son cœur qui empêche la semence
(la Parole) de donner des fruits désirés. Ceci (le mal) ne vient pas d’en haut,
mais se génère dans son cœur, en s’appuyant sur sa propre inclination et son
égoïsme. Ceci amène l’homme à vivre dans un orgueil impénétrable, qui ne
connait ni l’humilité, ni aucune des valeurs dont Jésus fait vivre dans sa vie
et sa mission publique. C’est l’endurcissement complet du cœur de l’homme qui
bloque tout (Ez 3;7). Cet
endurcissement, dénoncé à la fois par les prophètes (Joël 2,12ss) et encore
plus par Jésus lui-même (Mc 1 ;14) n’amène l’homme nulle part ailleurs qu’à sa
perte.
L’un des plus
anciens écrivains et théologiens qui ont marqué la vie de l’église de son temps
- St Augustin- dans ses œuvres telles que Traité du Catéchisme ou bien Traité
du Libre-Arbitre, développe la notion de « cœur » de l’homme en relation
avec la « volonté » d’agir pour nous donner la clé du secret de ce qui manque
en l’homme, c'est-à-dire la « grâce »
L’homme a une
volonté d’agir pour le bien (fondée dans son cœur) mais, malheureusement, il
n’agit pas selon ce qui est bien. Comme disent les Écritures, « le bien que je
veux faire je ne le fais pas, mais, le mal que je ne veux pas faire, c’est ce
que je fais » (Rom 7,19). Ceci est possible parce que l’homme se trompe
facilement. Au lieu de choisir le bien, il est attiré par le contraire. Cette
défaillance du cœur de l’homme ne s’explique que par le manque d’adhésion à la
grâce que Dieu donne.
Pas de doute,
Dieu voit le cœur. Il sonde le cœur et les pensées secrètes de l’homme (Jr
17,10). Dans sa puissance, il parle à l’homme dans son cœur à travers sa
Parole. Celle-ci l’inspire d’abord d’avoir la volonté d’entendre et ensuite,
d’agir en bien, à désirer le bonheur qui est le fruit du don de sa grâce… (cf.
: De la Grâce et du Libre-Arbitre, citant Josué 11,20)
Nous pouvons adhérer à la pensée de Michel Henry, le cœur de l’homme, reste le lieu préférable où l’homme peut entendre les Paroles du Christ. Pourquoi le cœur ? Parce qu’il est le centre de toute chose et de toute habitude. C’est dans le cœur que la vie est née. Cette vie se révèle à elle-même et se donne à elle-même. Dans le cœur il y a tout : pouvoirs, émotions, volonté, impressions, sentiments, actions, pensées…. Or, Dieu parle au cœur et sa Parole n’est audible que dans le cœur. C’est là, dans le silence, que la Parole de Dieu trouve un toit. Ce cœur, illuminé par la Parole de vérité est capable de construire une relation intérieure avec Dieu, et c’est cette relation qui permet à l’homme d’écouter les Paroles du Christ, de les comprendre et de les mettre en pratique… pour donner des fruits, qui ne sont autres que la foi, la charité, la fidélité, la maîtrise du soi et la joie d’appartenir à lui seul (Gal 5;22).
[1] « Marx certes était athée, « matérialiste », etc. Mais chez un philosophe aussi, il convient de distinguer ce qu’il est de ce qu’il croit être. Ce qui compte, ce n’est d’ailleurs pas ce que Marx pensait et que nous ignorons, c’est ce que pensent les textes qu’il a écrits. Ce qui paraît en eux, de façon aussi évidente qu’exceptionnelle dans l’histoire de la philosophie, c’est une métaphysique de l’individu. Marx est l’un des premiers penseurs chrétiens de l’Occident. » Marx II. Une philosophie de l’économie, Michel Henry, éd. Gallimard, coll. Nrf, 1976, p. 445
[2] Michel Henry, Marx, une philosophie de la réalité, NRF, Gallimard, 1976, p. 9
[3] Michel Henry, Marx, Une philosophie de l’économie, Nrf, Gallimard, 1976, p. 484
[4] Michel Henry, La Barbarie, éd. Grasset 1987, (§1, p.15)
[5] Michel Henry, L’essence de la manifestation, PUF, 1963 (§52-70)
[6] Michel Henry, Incarnation, Le Seuil, 2000 (§15, 129)
[7] « La clandestinité (de la Résistance) m’a donné quotidiennement et de manière aiguë le sens de l’incognito en dissimulant pensées et action. Grâce à cette hypocrisie permanente, l’essence de la vraie vie se révélait à moi, à savoir qu’elle est invisible. » Entretien de Cerisy en 1996, cité dans Michel Henry Ed L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p.14
[8] Michel Henry, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p.38
[9] Michel Henry, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p.47
[10] Michel Henry, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p.45
[11] A. Vidalin, La parole de la vie : la phénoménologie de Michel Henry et l’intelligence chrétienne des Écritures, Paris, Éditions Parole et silence, 2006, page 70-71.
[12] Michel Henry, Entretiens, 2005 (épuisé). Cité dans http ://www.michelhenry.com/
[13] Michel Henry, C’est moi la vérité, Seuil 1996, p 91
[14] Michel Henry, C’est moi la vérité, Seuil, 1996, p. 93
[15]
Vidalin Antoine, La Parole de la Vie, la
phénoménologie de Michel Henry et l’intelligence des Ecritures,
Parole et silence,
2006, p. 79
[16] Ibidem, p. 120
[17] Ibidem, p. 152
[18] Ibidem, p. 154
[19] Ibidem, p. 155
[20] Ibidem, p. 156
[21] Ibidem, p. 157
[22] Ibidem, p. 161
[23] Ibidem p. 168
[24] Ibidem, pp. 170-171
[25] Ibidem, pp. 173, 176,177
[26] Michel Henry, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p.45
[27] Michel Henry, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 2009, p.45
[28]
Michel Henry, Paroles du Christ, page 146