L’éthique, facteur de mobilisation des ressources humaines dans l’hôpital Alma Mater en Haïti


Wilguens Saint-Fleur

Université Notre-Dame d’Haïti / UDERS des Gonaïves (Haïti)


En vue d’accroître leur performance économique et sociale, les hôpitaux ont besoin d’avoir des ressources humaines qualifiées, compétentes et mobilisées. Pour ce faire, les outils de gestion sont couramment utilisés pour rendre possible l’atteinte des objectifs dans un environnement de concurrence accrue entre les acteurs du secteur. Les valeurs éthiques sont des outils utilisés aujourd’hui dans les pratiques managériales mobilisatrices individuelles et collectives. Dans un contexte du travail marqué par le chômage et la pauvreté extrême, cet article met en exergue la contribution de l’éthique dans la mobilisation des prestataires de soins. Nous proposons ici une étude de cas unique d’un hôpital communautaire de référence en Haïti. Les résultats de la recherche révèlent que l’éthique, malgré des nuances du contexte haïtien, est un facteur puissant de mobilisation et de performance de l’hôpital. L’éthique et la mobilisation sont, in fine, au service des soins de qualité à offrir aux patients qui fréquentent l’hôpital.


Mots-clés : Éthique, mobilisation des ressources humaines, management hospitalier, hôpital communautaire de référence.




Introduction

Le corps malade est généralement pris en charge par des institutions dont la mission est de soigner et de soulager la douleur et la souffrance des personnes qui en ont besoin. Ces institutions qui peuvent prendre diverses formes (centre de santé, hôpital, maison de repos, clinique, etc.) sont dotées de ressources humaines chargées de les faire fonctionner. La qualité des soins à donner au corps malade est tributaire de la mobilisation des ressources humaines des institutions de soins. Or, parmi les multiples facteurs de mobilisation des ressources humaines, l’éthique occupe une place non négligeable tant pour les membres du personnel eux-mêmes que pour les patients. Ainsi, les prestataires de soins sont dans l’obligation d’envisager une intégration de l’éthique dans le management de leurs établissements. L’éthique devient un outil primordial de gestion pour les organisations du secteur médical qui promeuvent des valeurs humaines de dignité, de solidarité, d’autonomie et d’équité.
L’intégration de l’éthique dans les institutions de soins tente d’adresser des problèmes qui ne sont pas toujours traités par les États et leurs lois (Centeno, 2016 ; Salmon, 2007). Comme tous les agents économiques, les acteurs des institutions sanitaires ne sont pas exempts des dérives qui risquent de dégrader le corps malade en quête d’un meilleur traitement et d’une amélioration de son état de santé. Avec le développement des technologies de l’information et de la communication, les comportements déviants sont médiatisés de plus en plus et affectent toutes les parties prenantes des organisations (Freeman, 1984 ; Centeno, 2016). Le management des organisations sanitaires n’est pas étranger aux problèmes posés par la mondialisation de l’économie. Pour réduire les effets des pratiques des organisations sur l’environnement et la population, les entreprises sont de plus en plus appelées à agir de manière responsable en prenant en compte les valeurs éthiques. Ce qui conduit à une « prise de conscience de la part des chefs d’entreprise de leur rôle et de leur responsabilité par rapport aux risques financiers, sociaux et environnementaux liés au déploiement de leurs activités » (Salmon, 2007 : 79). Les organisations du secteur sanitaire font la promotion des valeurs éthiques individuelles et collectives, de respect mutuel, de coopération, de performance (Salmon, 2007 : 80).
Eu égard au contexte et à l’actualité en Haïti, la question du management éthique des institutions est une réalité déplorée à longueur de journée. Le caractère spécial des organisations sanitaires ne les épargne pas des scandales et des malversations de toutes sortes causées par la faiblesse humaine (Freeman, 1984 ; Mercier, 2014 ; Azarre, 2019). Cette faiblesse humaine est plus accentuée lorsque les institutions chargées de faire appliquer les lois et les normes éthiques ne disposent pas de la force coercitive suffisante. À la faiblesse des institutions étatiques, s’ajoute un peuple peu éduqué et manipulé par des politiciens souvent mal intentionnés. L’insuffisance, voire l’absence, de régulation en Haïti est un frein à la mise en place du management éthique au sein des organisations. Les pratiques managériales éthiques ont besoin de ressources humaines qui agissent dans le sens des stratégies managériales (Centeno, 2016). Une valeur ajoutée pour les soignés peut être apportée par les efforts de motivation et de mobilisation des ressources grâce au management éthique.
Pour mettre en pratique les valeurs propres aux institutions sanitaires, la fonction des ressources humaines a le devoir de chercher à susciter l’implication, l’engagement, la motivation et la mobilisation du personnel salarié et bénévole par des méthodes empruntées des outils de gestion (Harrisson et Gervais, 2007 : 9). Le personnel des organisations sanitaires a intérêt à s’engager dans tout ce qui tend à faciliter l’atteinte des objectifs des institutions en matière d’éthique et de performance. Les managers ont la responsabilité d’œuvrer en ce sens, car l’objectif d’offrir des soins de qualité court le risque d’être compromis par une mauvaise gestion des divers membres du personnel : salariés, bénévoles, contrat à durée indéterminée, contrat à durée déterminée. Les différents membres du personnel des organisations sanitaires sont des facteurs de performance dont la motivation et la mobilisation ne dépendent pas seulement des intérêts financiers ou économiques, mais aussi de valeurs éthiques comme « l’altruisme, la participation, la coopération, la solidarité et la réciprocité » (Harrisson et Gervais, 2007). C’est pourquoi, nous nous demandons en quoi les valeurs éthiques peuvent-elles être des facteurs de mobilisation des ressources humaines ?
Lorsque l’organisation met en pratique les valeurs qu’elle véhicule, il est très probable qu’elle impacte positivement les comportements de ses parties prenantes internes et externes. Elle se fait aussi une bonne réputation aux yeux de la société. Pour répondre à la question de recherche, nous avons effectué un travail exploratoire de type qualitative auprès des membres du personnel des différents services d’un hôpital communautaire de référence située dans une commune rurale d’Haïti.
Ce travail empirique, effectué grâce aux données qualitatives extraites de quinze (15) entretiens réalisés avec les membres du personnel de l’Hôpital Alma Mater (HAM), vise la création de connaissances sur une réalité peu ou pas exploitée en Haïti. Cet hôpital, placé aujourd’hui sous la tutelle de la Caritas diocésaine, a été fondé dans les années 1960 par un prêtre catholique qui portait alors le souci d e soigner la population livrée à elle-même. Il est localisé dans une commune d’Haïti dénommée Gros-Morne. En tant qu’institution caritative sans but lucratif. L’HAM se donne pour mission de « fournir des soins préventifs et curatifs »[1] à tous sans aucune discrimination basée sur le sexe, l’âge, la religion, l’origine sociale, etc. Plus de cent cinquante mille ( 150 000) personnes vulnérables. En cohérence avec son origine chrétienne, l’hôpital promeut des valeurs comme la justice, l’équité, la solidarité, l’intégrité.

I. Éthique et mobilisation des ressources humaines


I.1. Éthique, morale et déontologie

Deux termes sont utilisés pour parler d’éthique dans la terminologie grecque : éthos et êthos qui signifient « coutume », « habitude », « usage » (Schumacher, 2006 ; Bouquet, 2012). Deux approches permettent de distinguer les deux notions, l’une sociologique et l’autre psychologique. La perspective sociologique emploie la notion éthos et renvoie à ce qu’il y a de commun au sein d’une société ou d’un groupe d’hommes comme coutumes, habitudes, mœurs ou usages. En revanche, la perspective psychologique tient compte des attitudes, des habitudes ou des caractères individuels de l’éthos. Ce dernier terme (éthos) porte sur la manière dont l’individu se comporte, ses attitudes, ses dispositions, ses caractères, etc. (Maffesoli, 2012 ; Schumacher, 2006).
L’origine grecque des notions éthos et êthos nous donne la possibilité d’aborder les questions éthiques tant dans leurs aspects individuels que dans leurs aspects collectifs. Tout individu est intégré dans une culture, une société qui ne cesse d’influencer ses actes, ses habitudes, ses manières d’être et d’agir. La société est elle-même le fruit de nombreuses interactions entre les individus. C’est pourquoi, les attitudes et les habitudes individuelles exercent une influence sur les coutumes collectives et inversement. Ce rapport d’influence réciproque peut être positif et / ou négatif. La définition que Paul Ricoeur (1990a) retient de l’éthique considère sa dimension individuelle et sa dimension collective. Selon lui, l’éthique est « la visée d’une vie bonne et accomplie, avec et pour autrui, dans des institutions justes ». L’auteur met en scène trois aspects de l’éthique : Je, Tu, Il. Tout individu agissant est l’objet de l’évaluation des autres (individus et institutions) auprès desquels il est appelé à rendre compte de ses actes. Les institutions ont un pouvoir de coercition sur les individus, ce qui les oblige à poser des actes conformes aux normes et aux lois établies.

Mos, mores, moralis

Cicéron est celui qui a opéré la traduction des termes grecs en latin. Du grec ta éthika, nous allons passer au latin moralis (mos au singulier, mores au pluriel) dont la signification renvoie à tout ce qui est relatif aux mœurs (Bonjour, 2017 ; Schumacher, 2006). La distinction entre une dimension individuelle et une dimension collective présente dans la culture grecque n’a pas été maintenue par le monde latin qui accorde le même sens à mos et mores. Pour les Latins, l’éthique et la morale ont la même signification avec un volet descriptive (habitudes, mœurs) et un volet prescriptif ou normatives (normes, règles de bonnes mœurs ou de bonnes conduites). Parler de morale revient à parler de contraintes ou de forces coercitives sur le plan individuel et sur le plan social.

Déontologie

La notion déontologie vient de deux termes grecs, deon (ce qu’il faut faire) et logos (discours). Elle est l’équivalent de l’expression anglo-saxonne professional ethics qui établit les règles et les normes d’une profession. À travers la déontologie, l’éthique et la morale s’incarnent dans la vie professionnelle tout en respectant les lois de la République. Le pouvoir exercé par la déontologie est de l’ordre de la coercition dans la mesure où elle agit sur les consciences et la volonté des individus et les pousse à choisir ce qui est moralement acceptable. Si la déontologie a peu de pouvoir sur les structures organisationnelles, elle permet de jauger dans quelle mesure les individus se conforment aux devoirs, aux normes et aux obligations établies (Mercier, 2014).


I.2. La mobilisation des ressources humaines

Les ressources humaines sont les leviers indispensables à la performance et au développement des organisations. La motivation et la mobilisation de ces ressources humaines sont deux facteurs qui contribuent à mettre en marche tous les types d’organisation. Une négligence des ressources humaines risque d’avoir des effets négatifs sur les objectifs de l’organisation et peut aller jusqu’à sa faillite. D’où la nécessité pour les organisations d’avoir des pratiques de gestion des ressources humaines mobilisatrices afin d’éviter une contre-performance, voire une faillite. Qu’est-ce que la mobilisation des ressources humaines ? Depuis, les années 1980, le concept de mobilisation fait l’objet de publications de toutes sortes sans pour autant avoir une définition unanime adoptée par la communauté des chercheurs (Tremblay et Wils, 2005 ; Saint Fleur, 2018). Les pratiques de mobilisation sont analysées à partir de leur dimension collective lorsque les pratiques et les politiques managériales incitent les salariés à faire converger leurs efforts et leurs énergies individuels et collectifs dans le sens des objectifs de l’organisation (Saint Fleur, 2018). Un salarié mobilisé ne recherche plus seulement ses seuls intérêts, mais aussi ceux de l’organisation dans laquelle il travaille.
Pour que la mobilisation des ressources humaines soit effective, il faut que les efforts des salariés, dans leurs différentes tâches et responsabilités, dépassent les attentes de l’organisation tout en améliorant la qualité du climat social favorable au bien-être de chacun (Igalens, 1997, cité par Saint Fleur, 2018). Dans ce sens, la mobilisation des ressources humaines contribue, par la création d’un climat social propice au bien-être de chaque salarié, au développement et à la performance de l’organisation. Le concept de mobilisation renvoie à la manière dont les individus, agissant comme d’un seul homme, se livrent corps et âme au service de l’organisation. Les uns s’appuient sur les autres pour atteindre une performance plus importante que d’habitude. La mobilisation du personnel se reconnait par le dévouement, l’entraide, la coopération inter et intragroupe, la qualité des relations interpersonnelles et le climat social constatés au sein de l’organisation. Dans le cadre de cet article, nous essaierons d’analyser comment les valeurs et les croyances qui existent dans l’organisation peuvent être des leviers de mobilisation individuelle et collective des ressources humaines. Certaines valeurs comme l’éthique, la confiance, l’autonomie, la reconnaissance, etc. ne sont-elles pas des facteurs susceptibles de mobiliser les ressources humaines des organisations de soins ? (Tremblay, 2005).


II. Méthodologie de l’étude de cas

Dans le but d’explorer la contribution de l’éthique dans la mobilisation des ressources à l’hôpital, nous avons opté pour une méthodologie qualitative en étudiant un cas particulier. L’étude de cas a été choisi pour les ouvertures qu’elle donne dans la collecte des données de tout genre. Les données peuvent être d’origines diverses : l’individu, le groupe, l’organisation, les phénomènes sociaux, etc. (Yin, 2003, cité par Centeno, 2016 : 139). Elle permet aussi d’étudier les phénomènes dans leur contexte, de s’appuyer sur des sources multiples, de faciliter la triangulation des données.
Les données extraites du contexte culturel haïtien sont interprétées à partir de la littérature existante sur le sujet. Grâce à une quinzaine d’entretiens semi-directifs, dont dix enregistrés, nous avons réussi à collecter des données qui nous permettent de mieux apprécier la contribution de l‘éthique à la mobilisation des ressources humaines du secteur médical haïtien. Les expériences et les interprétations des enquêtés ont été des sources importantes de production de connaissances, véritables sources de sens pour les personnes. Il y a une source intarissable de données dans le discours des individus et des groupes qu’il faut situer dans l’espace et le temps. Ces données permettent de comparer le phénomène étudié avec les connaissances existantes pour mieux faire ressortir les nuances entre les théories et les données empiriques. Les nouvelles réalités empiriques sont aussi des lieux de naissance de nouvelles théories (Centeno, 2016). L’étude du comportement des ressources humaines de l’hôpital peut faciliter une meilleure compréhension de la réalité et une optimisation des prises de décisions. Une organisation ne peut survivre sans des décisions éclairées. Nous avons eu aussi l’occasion de consulter certains documents de l’organisation dans le but de mieux discerner le rapport qui existe entre les pratiques managériales éthiques et les pratiques de mobilisation des ressources humaines de l’hôpital.


III. Résultats : les facteurs de mobilisation des ressources humaines


III.1. Les facteurs éthiques de mobilisation

III.1.1. L’éthique dans le discours des personnes

Le discours individuel fait état des limites d’une organisation où l’éthique n’est pas institutionalisée. La référence à l’éthique s’appuie sur l’éthique des corps de métiers présents à l’hôpital : infirmières, médecins, comptables. L’hôpital, en tant qu’institution, n’a pas encore mis en place des infrastructures (comité ou code d’éthique et de déontologie) qui régulent les comportements de ses salariés et clients. Le ministère de la santé publique et de la population sert de repère à l’hôpital en matière de normes, de principes et de règles à faire appliquer par les employés des différents personnels des hôpitaux d’Haïti. L’expérience leur a montré que les pratiques managériales non éthiques détériorent la qualité des soins et de tous les services fournis par l’hôpital. L’éthique est définie en référence aux comportements des individus jugés normaux eu égard aux principes, normes et valeurs partagées par la communauté hospitalière.

Définition de l’éthique

« À mon avis, l’éthique renvoie à l’ensemble des comportements normaux que le personnel de l’hôpital doit avoir en respectant les normes, les valeurs, la mission et la vision de l’institution. C’est la manière dont l’institution comprend la personne. » (DRH).
« Je dirais que l’éthique c’est ce qui vous permet d’avoir un bon comportement dans le cadre du travail. Par exemple, l’éthique interdit une relation sentimentale entre supérieur hiérarchique et subalterne. Un employé qui ne maîtrise pas les outils de l’éthique risque de transgresser cette norme de la morale professionnelle. Un tel comportement fausse le rapport de supervision ou de supériorité. L’apparition du sentiment va influencer négativement les relations de travail. » (Logisticien).

Code d’éthique et de déontologie

« Nous n’avons pas vu la nécessité de rédiger un code d’éthique et de déontologie à l’hôpital parce que chaque catégorie de service dispose d’un code d’éthique. Cependant, il faudrait un code d’éthique et de déontologie qui régit l’ensemble du personnel de l’hôpital. Pour la bonne marche de l’hôpital, certains comportements sont à bannir. L’institution a ses propres valeurs et ses règlements internes connus de tous. Les employés se doivent d’avoir un comportement digne de leur appartenance au personnel de l’hôpital. Nous aurons à faire un travail perfectif pour doter l’hôpital d’un code d’éthique et de déontologie. » (DRH).

Documents alternatifs

« En matière d’éthique et de déontologie, nous communiquons aux employés des documents internes, la description des tâches pour chaque poste, la mission et les valeurs de l’hôpital. Il est indiqué dans les documents que les soins doivent être offerts à tous sans distinction aucune, ni de couleur, de genre et de religion » (DRH).
« Nous respectons les normes du MSPP, à l’exception de celles qui sont contraires aux valeurs de l’Église catholique puisque l’hôpital est la propriété de l’Église catholique : ex. la contraception. Au cas où une personne viendrait avec une complication par suite d’un avortement, elle sera prise en charge. Mais, l’hôpital ne va pas provoquer l’avortement, ce qui est contraire aux valeurs chrétiennes. » (DRH).

L’avortement, pratique courante dans les cliniques en Haïti, n’est pas pratiqué à l’hôpital de terrain. Il en est de même pour les relations sentimentales entre employés et entre employés et patients.

L’éthique, entre parole et action

Les relations interpersonnelles à l’intérieur de l’hôpital exigent la proximité et la distance en même temps. La performance de l’hôpital dépend de la capacité des managers à créer cet équilibre entre proximité et distance dans les relations interpersonnelles. Certains carences, constatées sur le plan éthique, mériteraient d’être comblées selon les interviewés, notamment sur les valeurs éthiques de confiance, de discrétion, de confidence.

Proximité, distance, inconduites

« Pour prendre en compte la dimension éthique dans l’exercice de ma fonction, je suis à la fois proche et distant des personnes qui travaillent sous ma supervision. Je développe avec eux un rapport professionnel, de superviseur et supervisé. Pour que le travail soit bien fait, j’ai besoin aussi d’un rapport de proximité avec mes subalternes tout en gardant les limites professionnelles inhérentes à la fonction. Il n’y a pas de profession sans éthique. » (Logisticien).
« Comme il n’y a pas de formation sur le thème de l’éthique, la direction des ressources humaines aborde les questions éthiques dans les différentes rencontres dans le but d’orienter le comportement éthique des employés. Les valeurs éthiques comme la confidence, la discrétion, le secret professionnel et la confiance sont diversement appréciées par le personnel. Beaucoup de patients sont victimes de l’indiscrétion des employés. » (DRH).

Gestion éthique des conflits et recrutement éthique

« Grâce à l’éthique, j’apprends à mettre de côté les différends qui puissent exister entre les membres de mon équipe et moi pour agir en professionnel. Je gère les problèmes avec le service RH et la direction administrative. Me référer directement à la direction générale serait contraire à l’éthique. Je suis pour le respect des procédures administratives de l’hôpital. » (Logisticien).
« Dans le recrutement toutes les procédures sont respectées sans aucune influence d’un quelconque supérieur hiérarchique. Par exemple, lorsqu’on doit décerner le prix de l’employé de l’année, le processus se fait de manière équitable et c’est celui qui obtient la meilleure note qui est élu. L’éthique de l’hôpital prend en compte la performance et l’ancienneté dans le travail. » (DRH).

La stature professionnelle du salarié dépend de son éthique. Toute la vie en entreprise ou en organisation a besoin d’une certaine éthique qui procurera le bonheur aux membres du personnel. La performance tient compte de l’éthique.

Les valeurs partagées par l’hôpital

Les valeurs promues par l’hôpital sont : l’autonomie, la reconnaissance, la responsabilisation, la justice et la confiance. Les interviewés ne partagent pas tous l’idée qu’ils sont autonomes dans leur travail et que leur supérieur hiérarchique leur fait confiance. Iles évoquent le fait que certaines décisions relevant de leurs compétences sont parfois prises par leur supérieur hiérarchique à leur insu. Il y a un rapport mitigé aussi sur la question de la reconnaissance et de la justice. La reconnaissance et la justice sont affirmées en dépit des insatisfactions en ce qui a trait à la rémunération, au salaire.

III.1.2. Les facteurs éthiques de mobilisation

« Je peux dire que les gens font leur travail de manière autonome. Cependant, en ce qui me concerne, je peux dire que mon service n’a aucune autonomie, c’est-à-dire, en tant que service appelé à défendre les intérêts du personnel, à veiller à ce que les décisions prises au sujet du personnel soient justes, je trouve que le service RH ne bénéficie point d’un tel privilège. Parfois, il y a des cas où mes supérieurs hiérarchiques agissent en dehors des normes administratives et sans contacter la direction des ressources humaines. » (DRH).
« Vous savez, toute institution a ses normes, ses principes et des limites à ne pas franchir. Moi, je suis autonome dans mon travail, même s’il arrive que je doive faire des plaidoyers auprès de mes supérieurs hiérarchiques pour obtenir des choses pour le service. (Responsable Santé communautaire).
« De mon côté, j’arrive à prendre certaines décisions sans avoir besoin de faire appel au directeur médical. » (Pharmacien).

Une des ménagères expriment aussi ce sentiment d’autonomie dans le travail en déclarant : « personne ne m’a jamais empêché de faire mon travail. Pendant les supervisions, on ne m’a jamais dit que quelque chose ne marchait pas. » (Ménagère).

III.1.3. La reconnaissance au travail

« […] Je peux dire qu’ils sont satisfaits et reconnaissent mon travail. Parfois, je reçois des félicitations de mes supérieurs qui font l’éloge de la performance de mon service. Certains membres du service ont eu des plaques d’or, des plaques d’argent. C’est qu’ils reconnaissent qu’on fait un bon travail. » (Responsable Santé communautaire).
« Ici, on n’est pas dans une institution de l’État, c’est une institution privée. Ma seule reconnaissance serait de voir augmenter mon salaire. Le directeur général m’a déjà décerné une plaque d’honneur et une gratification en guise d’encouragement. » (Gardien).

L’insuffisance salariale est perçue à l’unanimité comme une injustice par les salariés. Malgré tout, ils expriment le sentiment d’être traités avec justice par les cadres de l’hôpital.

III.1.4. La justice au travail

« Je ne peux pas dire que je suis victime d’injustice, sauf en ce qui a trait à la rémunération. Le salaire n’est pas proportionnel par rapport à l’inflation. L’hôpital n’offre plus les mêmes avantages sociaux qu’avant (par exemple la nourriture). Le problème de salaire ne m’empêche pas de m’engager dans mon travail. Tant que je suis là, je dois travailler. A mon âge, je ne peux pas démissionner. Si c’est moi qui démissionne, je n’aurai rien de l’hôpital. Si c’est l’hôpital qui me renvoie, la direction me versera les prestations légales. » (Gardien).
« En matière de justice, l’institution donne le même traitement à tout le monde. Ici, on embauche des catholiques, des protestants, des vodouisants. La diversité ne pose pas de problèmes dans mon équipe. L’essentiel pour moi c’est le résultat. Dans l’équipe, nous partageons les valeurs de communication, du vivre ensemble, le professionnalisme. Je suis satisfait de mon travail, sauf au niveau de la rémunération. La vie devient de plus en plus chère. Il faudrait que l’hôpital pense à une révision des salaires pour donner un peu de satisfaction au personnel. Ainsi, les employés voudront rester à l’institution jusqu’à leur mort ou jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus travailler ». (Responsable de santé communautaire).


III.2. Les pratiques de mobilisation des ressources humaines

III.2.1. Ethique et mobilisation des ressources humaines

Dans le but d’arriver à la mobilisation du personnel, l’hôpital recourt à l’évaluation comme outil. L’évaluation permet à l’employé de se donner corps et âme dans le processus devant aboutir à l’atteinte des objectifs de l’hôpital. Dans le Manuel de gestion administrative, l’hôpital met en place un système de sanctions après évaluation positive ou négative des comportements des salariés.

« Des sanctions sont pour le personnel après évaluation ou en cas de faute grave. En tenant compte de l’importance de l’éthique dans la mobilisation des ressources humaines, j’ai pris la décision de créer un comité de loisirs. Ce comité a pour but de rapprocher le personnel par l’organisation d’activités de loisir : ex. les anniversaires, des rencontres culturelles où la dimension éthique est fortement soulignée. » (DRH).

Les interviewés affirment que les comportements non éthiques participent à la démobilisation des ressources humaines. La corruption est un facteur de démobilisation qui est contraire aux valeurs personnelles partagées par les salariés. Certains avouent se sacrifier dans leur travail sans tenir compte des primes individuelles qui pourraient leur être accordées. Le rapport entre éthique et mobilisation est porté par les individus.

« En ce moment, il n’y a pas de comportements non éthiques de la part des dirigeants. Il faut reconnaître que ces genres de situation existaient avant. Les mauvais comportements des dirigeants exercent une influence sur tous les échelons de l’hôpital, en haut et en bas. Les retards dans le payroll ont eu des conséquences sur tous les services avec des employés qui viennent sur leur lieu de travail et ne veulent pas travailler sous prétexte qu’ils n’ont pas touché leur paie. » (DRH).
« L’hôpital attend que je sois motivé et mobilisé dans mon travail. C’est pourquoi, en dépit de l’insécurité qui règne dans le pays, je fais tous les efforts possibles pour répondre aux besoins les plus urgents des clients. Je n’ai jamais eu de primes de la part de la direction des ressources humaines ou de la direction générale, mais ma motivation reste intacte. Je suis toujours mobilisé dès qu’il s’agit de mon travail » (Pharmacien).

III.2.2. Mobilisation et performance de l’hôpital

En améliorant la qualité de vie au travail, l’hôpital suscite la mobilisation de ses ressources humaines. Le climat social réduit les frustrations, encourage le respect des normes et améliore les performances de l’hôpital. En réduisant la corruption dans l’hôpital, les employés sont à même d’être mobilisés.

« Pour mobiliser ma troupe, je fais tout ce qui peut épanouir les employés et éviter tout ce qui peut les frustrer. Un employé frustré n’est pas mobilisé et ne saura donner les rendements escomptés. Ils sont satisfaits de la bonne collaboration qui existe entre nous. L’éthique peut contribuer ainsi au développement de l’hôpital dans la mesure où on respecte les normes, les principes. » (Responsable de santé communautaire).
« Il y avait une forme de découragement lorsque l’hôpital ne pouvait pas payer les employés à temps. Je ne sais pas s’il faut le considérer comme un problème éthique. Une fois que les salaires sont payés à temps, les employés ont retrouvé le sourire et ils sont davantage mobilisés au travail. Ce qui permet une meilleure coopération et une augmentation de la performance globale de l’hôpital. » (Responsable de santé communautaire).

À côté de la mobilisation individuelle et collective créée par l’éthique individuelle, des facteurs personnels dont l’effort et le respect mutuel exercent une influence sur la performance de l’hôpital. Les sanctions positives comme les plaques d’honneur, les primes de satisfaction, la promotion mettent de l’huile dans le moteur des ressources humaines qui sont plus motivées et mobilisées. L’absence de code d’éthique et de déontologie, certains manquements des supérieurs hiérarchiques ne représentent pas un obstacle à la mobilisation des ressources humaines de l’hôpital.

« Mon objectif, c’est de donner des résultats sans faire abus à personne. Depuis que je suis là, personne ne se plaint de problèmes d’éthique, de dettes de l’hôpital envers les agences de vente de produits pharmaceutiques. Notre performance est une réalité. » (Pharmacien).
« J’ai été motivé par la plaque d’honneur et l’enveloppe qui l’a accompagnée. J’ai partagé l’argent avec les membres de l’équipe parce que mes résultats ne sont pas individuels. On est champion en équipe. Ma performance dépend de l’équipe » (Technicien en laboratoire).
« Le chef a des attentes de performance claires. Je me donne entièrement à mon travail. Cependant, il m’arrive de faire des négligences surtout si je n’ai pas les moyens de transport appropriés aux déplacements. Je suis aussi motivé par une évolution dans ma carrière, comme ça a toujours été le cas. J’ai eu des promotions depuis mon arrivée ici. » (Agent de santé).

Tous les interviewés se fixent des objectifs de performance dans le cadre de leur travail à l’hôpital. Cette performance est visible dans l’amélioration de la qualité des soins donnés à l’hôpital et dans l’augmentation de la santé économique de l’institution. La quête de performance conduit parfois à des compétitions entre les employés, chacun essayant de surpasser les contraintes auxquelles il fait face plus que les autres.

« Les objectifs de performance économique fixés par le service au début de l’année sont souvent atteints avant la fin de l’année. À côté des résultats économiques, des évaluateurs externes vérifient la qualité des services rendus à la communauté. Nous nous battons pour que notre service soit le plus performant de tout l’hôpital. Nous souhaitons aller de progrès en progrès. » (Technicien en laboratoire).
« Je donne le meilleur de moi-même avec toutes mes limites et tout ce qui peut me contrarier. Certains facteurs liés à l’environnement et indépendants de notre volonté sont des obstacles à l’atteinte des objectifs fixés. Le comportement des dirigeants influe sur la performance des membres du service. En tant que chef de service, je fais beaucoup d’efforts pour atteindre les objectifs de performance de l’hôpital. Mes managés aussi donnent le meilleur d’eux-mêmes pour être performants. Le plus grand problème rencontré chez mes managés, c’est la négligence et le manque de sens de responsabilité. Je suis obligé d’avoir l’œil sur tout. » (Responsable de Santé communautaire).

L’éthique est un facteur de mobilisation exprimé par les interviewés à côté d’autres facteurs. La confiance joue un rôle non négligeable dans la mobilisation des ressources humaines de l’hôpital.


III.3. La place de la confiance dans les relations interpersonnelles

III.3.1. La confiance des patients

La confiance à l’hôpital dépasse le seul cadre des membres du personnel pour s’ouvrir à tous les clients, bailleurs, patients, parents, etc. Le climat de confiance est rassurant pour toutes les parties prenantes de l’hôpital. Un patient ne se livrera pas à l’hôpital s’il ne se sent pas en confiance. Le personnel a fait l’expérience des dérives que peut causer l’absence de confiance à l’hôpital. « Avec notre travail de sensibilisation, nous arrivons à les (séropositifs) mettre en confiance et à les accompagner pour qu’ils se prennent en charge. Une fois qu’ils sont en confiance, la prise en charge est plus facile et ils prennent régulièrement leurs médicaments. » (Agent de santé communautaire).

III.3.2. La Confiance au sein du personnel

Les membres du personnel ont eux aussi besoin de se sentir en confiance pour s’engager au service de l’hôpital. C’est ce qui est exprimé par les interviewés dans les verbatim suivants.

« L’hôpital me fait confiance. Si l’hôpital ne me faisait pas confiance, il y aurait déjà eu des problèmes avec l’administration. Je me sens en confiance ici, sinon je ne serais pas resté dix ans. Je suis de la zone, je dois contribuer à son développement. » (Technicien en laboratoire).
« Jusqu'à présent, je peux dire que l’hôpital me fait confiance parce qu’ici dès qu’on n’a plus confiance en vous on vous renvoie. J’ai aussi confiance dans mes supérieurs hiérarchiques. » (Agent de santé communautaire).
« Mon équipe me fait confiance, je les soutiens lorsqu’ils sont en difficultés, j’assure le suivi à qui de droit. En tant que chef d’équipe, j’ai une très bonne relation de confiance avec mes collaborateurs. J’ai un staff très courtois et très collaboratif et communicatif. » (Pharmacien).
« Dans le cadre de mon travail, je fais confiance à tout le monde et je mets mon équipe en confiance aussi. Ils réagissent très bien sachant que je leur fais confiance » (Responsable Santé communautaire).
« En réalité, si je dis qu’on ne me fait pas confiance, ce serait un péché, parce que pour tous les problèmes on fait appel à moi. Pour qu’on vous fasse confiance, il faut éviter de laisser votre main plus longue que votre tête. » (Gardien).

Le vivre ensemble a donc besoin de la confiance. Il est encore plus vrai dans une institution de soins où les personnes qui frappent à sa porte sont dans une très grande vulnérabilité. Tous les interviewés expriment la nécessité de la confiance dans le vivre ensemble tant pour les patients, leurs parents, les bailleurs que pour l’ensemble du personnel de l’hôpital.


IV. Discussion des résultats


IV.1. L’éthique vue de l’institution d’étude

Sur le plan organisationnel, il parait que l’institutionnalisation de l’éthique n’est pas une priorité pour l’hôpital puisque très peu de textes sont consacrés à la question. Le problème de l’éthique est plus porté par les individus que par l’organisation. Le Manuel des procédures administratives (2013 : 16) aborde le paradigme de l’éthique sous la forme d’interdictions adressées aux employés. Parmi ces interdictions, nous pouvons citer celles relatives à la marchandisation de leur service, la divulgation d’informations confidentielles, le mauvais usage des biens de l’hôpital, le non-respect des valeurs de l’hôpital.
Il est à souligner que dans les orientations stratégiques de l’hôpital, l’éthique n’est pas un facteur stratégique important. Le conseil d’administration de l’hôpital ne voit pas en l’institutionnalisation de l’éthique un moyen stratégique lui permettant d’atteindre ses objectifs de performance. En revanche, sur le plan individuel, l’éthique est d’une importance capitale au point que certains acceptent de souffrir et de faire des sacrifices par souci d’éthique personnelle. Les salariés de l’hôpital sont conscients du fait que la corruption ne fait l’affaire que d’un petit groupe au détriment de l’ensemble des parties prenantes, notamment les patients et les ressources humaines.
Le constat d’une mode éthique au sein de certaines organisations internationales n’est pas une réalité pour les organisations sanitaires d’Haïti qui semblent avoir d’autres priorités (Drucker, 1981). Il y a de préférence une pratique de rappel à l’ordre sans chercher à créer un climat social marqué par l’éthique organisationnelle. L’éthique est reléguée au second rang par rapport aux règlements disciplinaires qui sont beaucoup plus développés. L’éthique n’est pas au centre de la culture organisationnelle. L’organisation ne s’appuie sur aucune structure, ni sur la formation de ses ressources humaines autour du thème de l’éthique afin de susciter un quelconque attrait, ou d’influencer les comportements des individus en ce sens.
L’origine de l’hôpital devrait servir de prétexte à la quête de l’institutionnalisation de l’éthique. Fondé par une institution catholique qui promeut les valeurs morales, l’hôpital devrait accorder beaucoup plus de priorité à la question. Une éthique portée uniquement par des individus reste très fragile et risque d’affronter ses limites très rapidement. L’organisation est plus à même d’impacter la vie en groupe qu’une simple question d’éthique individuelle. Sachant que chaque individu est porteur d’une éthique particulière, l’éthique organisationnelle doit servir de repère à l’ensemble des salariés et des patients de l’hôpital.


IV.2. L’éthique, facteur de mobilisation des ressources humaines et de performance de l’organisation

IV.2.1. Le sens de l’éthique dans le discours individuel

Paul Ricœur (1990b, 1990a) développe sa pensée éthique en cherchant à l’appliquer à toutes les sphères de la vie humaine à condition qu’il y ait des institutions justes chargées de la mettre en œuvre ou d’en être le garant. Tous les employés de l’hôpital partagent l’idée qu’une institution juste est un facteur de mobilisation qui viendrait en soutien aux efforts des individus d’afficher des comportements éthiques. Les interviewés ne rejettent pas les valeurs prônées par l’hôpital, bien qu’une institution chargée de l’éthique n’existe pas encore.
La conception ricœurienne de l’éthique accorde une place de choix au souci de soi par rapport à l’autre (Cf. Ricœur, 1990). Cette considération pour l’autre est admise et partagée par la quasi-totalité des interviewés, chacun exprimant sa volonté de se mettre au service de l’autre, de coopérer avec l’autre pour le bien de tous. Ils ont expliqué qu’un changement de leadership qui a rejoint les dispositions éthiques individuelles serait à l’origine de la mobilisation individuelle et collective des ressources humaines. On peut toujours s’interroger sur les pratiques éthiques de ce nouveau leadership qui a fait bouger les lignes. Un climat de méfiance et de suspicion latentes ne serait-il pas à l’origine de discours contradictoire entre une éthique individuelle très bien perçue et une éthique organisationnelle en mal de trouver sa place à l’hôpital ?
Les individus identifient l’éthique aux normes, aux bons comportements et aux valeurs. Cette conception est en conformité avec les dispositions disciplinaires de l’organisation qui est plus proche de l’impératif catégorique de Kant. L’éthique développée dans les discours individuels relève plus de la déontologie que d’une éthique de la visée, comme c’est le cas dans la pensée de Ricœur. Si l’on peut parler de formalisation, non de l’institutionnalisation de l’éthique, les textes de l’hôpital mettent l’accent sur les règles, les principes et les interdictions. Ce que ferait une éthique téléologique, c’est de susciter chez les salariés le sens de l’éthique afin de viser le bien en soi.
Nous avons compris, à partir des entretiens, que les interviewés n’arrivent pas toujours à faire la différence entre éthique, morale et déontologie (Aubin, 2019 ; Naudet, 2001 ; Mercier, 2014). Cette confusion vient du fait de leur manque de formation sur le sujet, et du fait qu’on en parle très rarement à l’hôpital. Cependant, les vocabulaires en lien avec l’éthique sont florissants : l’autonomie, la confiance, la confidence, la discrétion, la justice, le secret professionnel, le sens de responsabilité, etc. Lorsqu’il s’agit de se conformer aux règlements de l’hôpital, les employés font référence à l’éthique tandis que l’éthique va au-delà des seuls codes disciplinaires d’une institution.

IV.2.2. Éthique, mobilisation des ressources humaines et performance

Le concept de mobilisation des ressources humaines renvoie au fait que les membres du personnel mettent toutes leurs énergies et leurs efforts en œuvre en vue de réaliser, voire de dépasser, les objectifs de performance fixés par l’organisation (Laflamme, 1998 ; Saint Fleur, 2018 ; Tremblay et Wils, 2005). Cette mobilisation a une double portée individuelle et collective. Dans le cas où les énergies et les efforts concernent uniquement les individus, on parle de mobilisation individuelle, alors qu’elle est dite collective dans les situations où tous les employés ou les membres d’un service entier, pris comme d’un seul homme, canalisent leurs énergies et leurs efforts vers l’atteinte des objectifs de l’organisation. La mobilisation exprimée par les salariés de l’hôpital est beaucoup plus collective qu’individuelle. Certains ont reconnu avoir eu des moments de démobilisation, mais ils ont pu échapper au burnout grâce à l’appui du groupe. Le climat social créé par l’éthique au sein de l’hôpital a contribué à maintenir un niveau de mobilisation acceptable même lorsque certains individus auraient tendance à se laisser démobiliser.
Plusieurs facteurs ont contribué à la mobilisation des ressources humaines. Nous pouvons citer les facteurs affectifs (relation interpersonnelle de qualité, coopération inter et intra équipe), les valeurs éthiques, la confiance, etc. Après le salaire, l’éthique semble être le deuxième facteur fondamental de la mobilisation des ressources humaines de l’hôpital. Sachant que les problèmes d’éthique sont traités avec équité par les managers, les salariés se mobilisent davantage. L’effet inverse aurait pour conséquence néfaste la démobilisation des salariés de l’hôpital, donc une contre-performance. Au bout du compte, la démobilisation, reconnaissent les salariés interviewés, conduirait à la faillite de l’hôpital et le chômage de beaucoup de personnes, sans compter l’accès au soin de nombreux malades qui arriverait à terme.
L’intérêt des salariés pour le maintien des activités de l’hôpital s’apparente beaucoup plus à quelque chose de l’ordre de la prudence ou de la peur qu’à l’amour de l’éthique. En l’absence d’un minimum d’éthique ou de déontologie, l’hôpital risque de disparaitre. La disparition de l’hôpital mettra en péril les emplois et les salaires des membres du personnel. Le comportement des salariés par rapports aux normes de l’hôpital ressemble à une éthique de survie. Les salariés perçoivent le non-respect des normes comme un danger de perte de salaires ou d’emplois dans un environnement où le chômage fait rage.
Dans un contexte où l’emploi est incertain sur le marché du travail, il n’est pas étonnant que les efforts en matière d’éthique ou de déontologie proviennent plus du côté des salariés que du côté de l’organisation. La mobilisation des ressources humaines de l’hôpital par l’éthique a une portée contingente liée à l’environnement du travail, au marché de l’emploi. L’éthique est synonyme de confiance entre les différentes parties prenantes de l’hôpital en dépit des obstacles qui se dressent devant elles. Pour sauver leur emploi, les salariés créent eux-mêmes un climat social propice à la performance de l’hôpital grâce à leur la mise en œuvre de leur capital moral individuel.
Des expériences de corruption et de comportements non éthique au sein de l’hôpital, vu leurs conséquences sur la bonne marche de l’institution, ont dissuadé les membres du personnel de l’hôpital de persévérer sur le chemin de la démobilisation créé à l’hôpital. Dans le passé, à cause de la corruption qui régnait à l’hôpital, la performance tant sociale qu’économique a eu du mal à faire surface. Le changement de leadership éthique à la tête de l’hôpital a largement contribué à un changement dans la manière d’aborder l’éthique et d’améliorer la performance des ressources humaines à travers une mobilisation plus forte axée sur l’éthique. Les ressources humaines de l’hôpital ont compris que le profit engendré par les comportements non éthiques ne résiste pas au temps (Naudet, 1997). Sur le long terme, la corruption contribue à ternir l’image de l’organisation.
Considérant les conséquences néfastes des comportements qui vont à l’encontre des valeurs de l’organisation, l’éthique est donc un allié des objectifs de performance économique et sociale de l’hôpital. La direction générale ne peut prétendre atteindre ses objectifs en négligeant la dimension éthique de l’organisation. L’éthique est trop importante au sein de l’organisation pour la laisser aux aléas subjectifs des individus et des groupes qui existent au sein de l’hôpital. La mobilisation des ressources de l’hôpital est fonction de plusieurs réalités liées à l’éthique : la justice, la reconnaissance monétaire et non monétaire, l’autonomie, la responsabilisation, les relations interpersonnelles, etc.


Conclusion

Cet article a eu pour objectif d’explorer la contribution de l’éthique à la mobilisation des ressources humaines dans les hôpitaux par le biais d’une étude de cas. Nous avons tenté de répondre à la question de recherche suivante : en quoi les valeurs éthiques peuvent-elles être des facteurs de mobilisation des ressources dans les organisations du secteur médical haïtien ? Des éléments conceptuels et une étude de cas dans un hôpital communautaire de référence en Haiti ont permis de voir la contribution de l’éthique à la mobilisation des ressources humaines à l’ère du Covid-19.
Les concepts d’éthique et de mobilisation ont été utilisés pour scruter le terrain de recherche et déceler les différents leviers à prendre en compte au sein de l’hôpital. Si l’on se réfère à l’étymologie, le concept éthique signifie mœurs, sans distinction aucune, que ce soit en latin (ethica) et en grec (êthikê) et renvoie aux conduites de l’homme, à ses valeurs (Schumacher, 2006). L’éthique est abordée sous divers angles : la téléologie, la déontologie et la morale. Notre approche rejoint celle de Ricoeur qui distingue la morale (permis et défendu, normes et obligations) de l’éthique qui englobe les normes à travers une éthique antérieure (en amont) et une éthique postérieure (en aval) aux normes (Ricœur, 1983 ; 1990b). L’éthique ricœurienne implique une mise en mouvement des institutions justes capables de faire appliquer les visées d’une vie bonne et accomplie avec et pour autrui. Si l’éthique est de l’ordre de la visée, la morale permet d’articuler cette visée de la vie bonne à travers des normes. La morale est donc le lieu d’effectuation de l’éthique qui, elle, est susceptible de s’adapter à toutes les sphères de la vie humaine.
La mobilisation des ressources humaines est une condition sine qua non pour rendre possible l’atteinte des objectifs de performance de l’hôpital. Elle est le levier par lequel les individus et les groupes de l’organisation déploient tous les efforts et toutes les énergies possibles et imaginables dans le seul but d’atteindre ou de surpasser les objectifs et les attentes de l’organisation (Tremblay et Wils, 2005). Nos résultats ont montré que plus l’hôpital développe des pratiques éthiques, plus il a tendance à mobiliser ses ressources humaines et à atteindre ses performance (Naudet, 2001 ; 1997). En effet, les comportements non éthiques pratiqués dans le temps à l’hôpital se sont révélés contre-productifs et ont impacté négativement la mobilisation individuelle et collective au sein de l’organisation. Les résultats de la corruption sont les suivants : défaut de paiement, démobilisation, négligence, dégradation de la qualité des soins, arrêt du financement des bailleurs, perte de confiance des parties prenantes, etc.
Le changement de gouvernement, avec des pratiques managériales plus éthiques, a contribué à réduire, voire anéantir, la corruption et remobilisé l’ensemble du personnel de l’hôpital. Les nouvelles pratiques de management basées sur l’éthique n’ont fait qu’accroître la performance de l’hôpital. Un climat de confiance et de responsabilisation des individus est devenu le climat idéal pour mobiliser le personnel de l’organisation. Chacun a réussi à mobiliser son capital moral et son patrimoine éthique pour renforcer les efforts de tous les membres de l’organisation. Toutefois, les pratiques éthiques de mobilisation restent fragiles tant que l’hôpital ne cherche pas à formaliser et institutionnaliser la question éthique. Il est à craindre qu’une simple crise ne vienne renverser la mobilisation créée par l’éthique des individus et des groupes en présence.
Les résultats de la recherche ont révélé toute la portée de l’éthique en tant que levier de mobilisation des ressources humaines, de performance et de développement de l’hôpital. Pour donner satisfaction au corps malade, les ressources humaines de l’hôpital n’ont pas ménagé leurs efforts et ne se laissent pas décourager par les facteurs de démotivation comme l’insuffisance de salaire, le non-respect de la parole donnée de certains des managers. Les individus ont su puiser dans leur réserve morale personnelle pour combler les lacunes de l’éthique organisationnelle. D’où la nécessité pour l’hôpital de travailler sur la question de l’institutionnalisation de l’éthique. La question de l’éthique au sein de l’organisation est trop importante pour la laisser à la seule discrétion des salariés. Enfin, cet article s’est proposé d’exploser une question peu ou pas du tout travailler dans le contexte culturel haïtien. Le travail pourra être approfondi en vue d’une généralisation des découvertes qui ont été faites aux situations où l’environnement du travail est marqué par le chômage et l’extrême pauvreté.


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